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Channel: L' Affaire Dreyfus
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Dossier secret

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Les aventures de la 
lettre Davignon

La lettre Davignon, pièce n°40, est un courrier écrit par le colonel Panizzardi à son ami le colonel von Schwartzkoppen, à propos de renseignements concernant les appels de réservistes. Elle mentionne en outre le nom du lieutenant-colonel Davignon chef en second du 2e bureau français, en charge de la communication avec les attachés militaires.

Contrairement à ce qui est toujours avancé dans l'historiographie, personne ne sait exactement ce qui fut communiqué illégalement aux juges du Conseil de guerre en 1894. Seul Martin Freystätter, juge de 1894 devenu dreyfusard, a fourni plusieurs années plus tard une description du « petit Dossier secret » lu en salle de délibérations ; mais cette description diffère sensiblement de celle fournie par Georges Picquart, chef de la Section de statistique (les services secrets français), à partir du dossier tel qu'il avait été archivé dans ses bureaux après le jugement de 1894 et tel qu'il le redécouvrit en 1896. Ces deux témoins, les seuls fiables car les seuls à avoir refusé de mentir pour cacher l'innocence de Dreyfus, s'accordent uniquement sur deux pièces : la lettre dite « Ce canaille de D... » et la lettre dite « Davignon ». Une troisième pièce, le « memento », est citée par tous les acteurs sauf Freystätter. Ces trois pièces, complétées de deux rapports du policier en retraite et employé de la Section de statistiques Jean-François Guénée, sont généralement citées comme constituant le dossier fourni illégalement aux juges.

Dans l'article de 2008 publié par deux d'entre nous, nous avions pourtant mis en doute — et non nié positivement, comme certains de nos lecteurs l'ont apparemment cru à tort — la présence de la « lettre Davignon » dans ce dossier de 1894. Cette lettre de l'attaché militaire italien à l'attaché militaire allemand est la pièce n° 40 du dossier actuel (on en trouvera la transcription ici). 

L'article s'exprimait en ces termes :

En second lieu, le statut de la « lettre Davignon », une autre des cinq pièces principales citées par Picquart, est douteux. D’après le capitaine Targe, mandaté en 1904 par le général André pour enquêter au ministère de la Guerre, cette lettre n’était pas mentionnée dans un premier rapport sur le dossier secret, à l’automne 1897. De plus, dans une note interne au ministère, retrouvée en 1904 mais datée du 10 septembre 1898, le capitaine Cuignet, chargé de l’Affaire depuis mai 1898, précisait qu’il l’avait lui-même introduite dans le dossier à l’été 1898. Le seul juge de 1894 qui accepta de fournir des détails au Conseil de guerre de 1899, le capitaine Freystätter, exprima également un doute sur la présence de la lettre Davignon dans le dossier ; il ne se souvenait d’ailleurs que de deux autres pièces, une dépêche de Panizzardi et la lettre « canaille de D ». Certes, Picquart évoque cette pièce dès sa communication de septembre 1898 et de manière assez détaillée ; mais sa version est contradictoire avec les témoignages de Targe, très solide, et de Cuignet, involontaire donc fiable, sans que l’on puisse d’ailleurs expliquer cette contradiction (« Une relecture du “dossier secret” : homosexualité et antisémitisme dans l'Affaire Dreyfus », Revue d'Histoire Moderne et Contemporaine, vol. 55 n° 1, janvier 2008, p. 128-129)

Louis Cuignet, l'enquêteur mandaté par le Ministre de la Guerre en 1898 pour refaire le dossier contre Dreyfus, y avait d'ailleurs joint un rapport (pièce n° 42, p. 5-7, également consultable ici) ou il affirmait à nouveau très fermement que la  « lettre Davignon » n'était pas dans le dossier de 1894. 

Le témoignage de Cuignet, à lui seul, était certes insuffisant. Cuignet ne faisait pas partie du cercle des comploteurs de 1894, et n'avait pas été entièrement coopté dans ce cercle puisqu'il provoqua son effondrement en dénonçant le « faux Henry » à l'été 1898. Mais son témoignage n'en était pas moins d'assez faible valeur, pour au moins trois raisons :
- Cuignet n'avait eu aucun contact avec le dossier avant 1898, et ne pouvait donc pas prouver ce qu'il avançait pour 1894 ;
- même en 1898, il commença par étudier le dossier sous le contrôle étroit et la direction de deux des principaux membres du cercle de comploteurs en question, le sous-chef d'Etat-major Arthur Gonse et le successeur de Picquart à la tête des services secrets, le lieutenant-colonel Joseph Henry, travaillant dans le bureau du premier en compagnie du second ; 
- enfin, violemment antidreyfusard et antisémite, il avait fortement tendance à prendre ses désirs pour des réalités et à réécrire l'histoire, au point qu'aucune de ses affirmations ne pouvait être admise sans vérification indépendante.

Les autres témoignages provenaient en revanche d'acteurs beaucoup plus fiables, même si leur degré d'information était inégal. Le capitaine Antoine-Louis Targe avait été chargé par le Ministre de la Guerre, le général Louis André, de présenter en 1904 à la Cour de Cassation les pièces détenues par son Ministère sur l'Affaire Dreyfus. Sa mission était explicitement de ne rien cacher à la Cour, et de faire autant que possible toute la lumière, et son témoignage fut l'un des éléments qui permit d'innocenter définitivement Dreyfus. Targe n'intervint cependant que tardivement dans l'Affaire, ce qui n'est pas le cas de Picquart et Freystätter. Le premier, chassé de son poste en 1896 pour avoir conclu à l'innocence de Dreyfus, fut l'un des héros de l'Affaire, et le premier à faire connaître l'existence du dossier secret. Enfin, le second est notre seule source directe sur les délibérations des juges de 1894 ; lui aussi convaincu de l'innocence de Dreyfus, il brisa sa carrière plutôt que de mentir comme le souhaitaient ses supérieurs.

La contradiction entre les témoignages de Picquart et Freystätter d'une part, de Targe et Cuignet de l'autre, les hésitations de Picquart et Freystätter sur le contenu exact de la « lettre Davignon », ainsi que le fait que celle-ci était le seul des cinq documents généralement associés au dossier secret de 1894 qui ne comportait pas une numérotation spéciale dite « plume  rouge » (voir ici sur ce point), nous conduisait à conclure dans l'article de 2008 que « l’épineux problème de la lettre Davignon demeure entier » (« Une relecture... », loc. cit., p. 135). Il s'agissait d'une conclusion prudente, mais qui s'imposait compte tenu des incertitudes des sources.

Pourquoi alors, dans Le Dossier secret de l'Affaire Dreyfus, publié 4 ans plus tard, affirmons-nous cette fois avec une quasi-certitude que la « lettre Davignon » était bien présente dans le dossier de 1894 ? Parce que nous avons en grande partie levé le doute que nous avions, en allant poursuivre nos recherches dans les archives.

Nous avons en effet retrouvé les rapports et bordereaux de 1897 et 1898 utilisés par Targe dans son travail, ce qui nous a permis de préciser au moins dans ses grandes lignes le contenu du dossier secret après sa redécouverte à l'été 1896 par Picquart, qui y perdit son poste, et sa confiscation par le sous-chef d'Etat-major Gonse. Ce dernier y adjoignit entre 1896 et 1897 une série de faux concoctés par le lieutenant-colonel Henry, puis le dossier fut profondément remanié et augmenté au printemps 1898, et enfin récupéré et reclassé l'été suivant par Cuignet ,qui le transmit à la Cour de Cassation à l'hiver 1898. 

Le fonds des Archives Nationales contient en effet le premier rapport que Gonse communiqua en novembre 1897 à son Ministre, une fois l'Affaire relancée par l'identification par la famille Dreyfus du véritable traître de 1894, le commandant Walsin-Estherazy. Ce rapport, préparé courant octobre, fait explicitement allusion à la « lettre Davignon », qui était donc bien présente dans le dossier à cette date, mais le bordereau d'accompagnement donnant la liste des pièces communiquées en même temps que le rapport ne cite pas ladite lettre. C'est ce qui trompa Targe, puis Cuignet ; Gonse et Henry avaient décidé de ne pas communiquer le dossier initial, que Gonse se contenta de décrire dans sa note, sans que l'on puisse accorder à cette description grand crédit, d'ailleurs puisqu'elle incluait au moins une référence à un faux témoignage rajouté pour l'occasion. Les deux compères fournirent à la place au Ministre un dossier nouveau et truqué, contenant le « faux Henry » et toute une série de pièces nouvelles, certaines fausses, d'autre authentiques. Ce sont ces pièces surtout dont la liste est fournie par le bordereau accompagnant la note, bordereau également conservé aux Archives nationales, et c'est pour cette raison que celui-ci ne faisait pas mention de la « lettre Davignon ».  Il faut cependant noter que ce « Dossier de 1897 » incluait, sans que le bordereau l'accompagnant en donne le détail, l'essentiel de la correspondance entre les deux attachés militaires allemand et italien, donc très probablement aussi la « lettre Davignon », et qu'en tout cas celle-ci était bien présente dans le dossier quelques mois plus tard lorsque celui-ci fut transmis à Cuignet, puisque ce dernier put la repérer et lui redonner de l'importance.

Il apparaissait donc que Targe n'avait pas analysé assez précisément la note Gonse, et s'était exagérément fié au seul bordereau, et que Cuignet avait été délibérément trompé par Gonse et Henry, qui l'avaient laissé croire que la « lettre Davignon » constituait une découverte en 1898. Ne restaient donc comme objection à la communication de cette dernière en 1894 que l'absence de numérotation spéciale à la plume rouge, et l'incertitude toute relative de Freystätter et Picquart. Sur le premier point, les pièces du dossier sont suffisamment abimées pour que la « lettre Davignon » ait pu perdre sa numérotation, et de toute façon il n'est pas absolument certain que cette numérotation à la plume rouge ait correspondu effectivement au dossier secret de 1894 ; il ne s'agit que d'une hypothèse, même si elle fait partie des plus plausibles. Les incertitudes de Freystätter et Picquart, elles, portaient surtout sur des détails de contenu, et Picquart en particulier décrivit dès son premier témoignage en 1898 une pièce dont le contenu était bien pour l'essentiel celui de la « lettre Davignon ».

A partir du moment où les affirmations de Targe et Cuignet pouvaient s'expliquer par un passage temporaire au second plan de la « lettre Davignon », passage au second plan attesté dans les sources, il devenait donc à nouveau possible de conclure avec un haut degré de probabilité que cette pièce était bien présente dans le dossier de 1894, compte tenu de la convergence entre Picquart et dans une moindre mesure Freystätter d'une part, et le rapport de 1897 de l'autre (le tout confirmé par une note fournie en 1904 par Du Paty de Clam, un des participants au déni de justice de 1894, mais cette confirmation n'a qu'une valeur limitée, cf. notre analyse commençant ici)

Mais, et c'est sur ce point que nous voudrions conclure ce petit billet: "haut degré de probabilité" ne veut pas dire certitude. La conviction de Cuignet s'explique sans doute du fait qu'il intervint dans le dossier sans connaître les pièces d'origine, qu'il repéra la « lettre Davignon » comme les hommes de la Section de Statistique l'avaient fait avant lui, et crut être pionnier là où il n'était qu'imitateur, mais il reste que le seul témoignage direct sur le dossier de 1894, celui de Freystätter, pose des problèmes importants et est en conflit complet avec le témoignage de Picquart sur l'état du dossier tel qu'il le découvrit en 1896. Tant que cette question ne sera pas résolue, il subsistera un doute sur le statut de toutes les pièces du dossier. Le doute est nettement moindre sur la lettre Davignon, dont la présence est affirmée concurremment par Picquart, Freystätter, et de manière moins concluante les militaires conjurés, et encore plus faible sur la pièce "Cette Canaille de D...", dont Freystätter avait confirmé la présence beaucoup moins longtemps après le procès et dans des circonstances totalement indépendantes de l'enquête, et qui est unanimement présentée comme centrale dans l'accusation.

Mais le doute ne peut être totalement levé à partir de témoignages donnés plusieurs années plus tard, sans trace archivistique correspondante, bordereau ou autre; et encore moins  à partir des seules enquêtes de la Cour de Cassation puisque l'erreur commise par Targe, et non relevée par la Cour, confirme que ces enquêtes constituent une source délicate, à critiquer comme toute autre source. Si elles donnent incontestablement la vérité juridique du dossier, elles n'en donnent pas totalement la vérité historique, ce qui est logique puisque la Cour se préoccupait surtout de savoir si Dreyfus était coupable ou innocent, et que les discussions sur tel ou tel élément factuel n'avaient d'intérêt pour elle qu'à partir du moment où elles se rattachaient à cette question de l'innocence ou de la culpabilité.

En post-scriptum : courte remarque sur le "visuel" de la lettre Davignon et son rapport avec les numéros "plume rouge"

Nous avons laissé de côté une question: pourquoi, contrairement à toutes les autres pièces citées généralement comme appartenant au dossier secret en 1894, la « lettre Davignon » ne porte pas un numéro tracé à la plume rouge et de forme "n° X"? Des 5 pièces associées traditionnellement au dossier secret de 1894 et rappelées au début de ce billet, c'est la seule à ne pas porter une telle numérotation.

Une possibilité est que cette numérotation ait disparu: plusieurs morceaux de la lettre manquent, ce qui est fréquent dans le dossier secret, mais il manque également un petit morceau de bande collante , ce qui l'est moins -il s'agit d'une bande à gauche du recto, mais collée au verso, sur les mots "et c'est". Le coin en haut à droite (en regardant le verso de la lettre) de ce morceau de bande manque et semble avoir été déchiré.

L'indication est mince. Mais nous n'avons jamais prétendu avoir une certitude sur la présence d'un numéro rouge disparu ; il ne s'agit donc de rien de plus que d'une hypothèse, qui a au moins l'avantage de s'appuyer sur une trace, fût-elle minime. Et il ne faudrait pas que ce point fasse oublier les numéros tout-à-fait présents, eux, sur 4 des 5 pièces citées dans l'historiographie comme appartenant au dossier secret ¬- et en particulier sur "Ce Canaille de D...".  Affirmer que cette numérotation n'apparaît pas sur "Davignon" ne permet pas d'expliquer pourquoi elle apparaît sur ces autres pièces -et ne devrait pas dispenser d'une réflexion approfondie sur ce dernier point.

17 janvier 2013

Archives Freystätter

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Lettres du capitaine Freystätter 
à Joseph Reinach


Le capitaine Martin Freystätter, photographié pendant l'hiver 1893-1894
alors qu'il était affecté au 3e régiment d'infanterie de Marine.
Peu après, il intègre le premier Conseil de guerre de Paris pour une période de six mois.



Le Conseil de guerre de 1894 : récit d'un des juges


Le capitaine Martin Freystätter était un lorrain, né à Fénétrange le 3 août 1857 et mort à Paris le 14 juin 1919 à l'âge de 62 ans. Il s'engage à vingt ans dans la Légion étrangère comme simple soldat. Il passe tous les échelons de sous-officier et atteint le grade de sous-lieutenant à 26 ans, puis passe au grade de capitaine à 34 ans, ce qui est exceptionnel pour un officier sorti du rang, sans passage par Saint-Cyr.

Véritable baroudeur, il effectue l'intégralité de son temps militaire dans l'infanterie de marine, sur tous les front des guerres coloniales françaises, de la fin du dernier quart du XIXe siècle. On le trouve ainsi à plusieurs reprises au Tonkin (Indochine française en 1884, 1887 et 1891), où il est cité à l'ordre de l'armée après la prise d'une redoute à la tête de sa compagnie, au Maroc (Amam) en 1886, et lors de la deuxième expédition de Madagascar en 1895. Lors de cette expédition menée par le général Duchesne, il se distingue à nouveau et gagne la rosette de la Légion d'honneur. 

Nous reproduisons ici deux extraits de la correspondance entre le capitaine Martin Freystätter, juge au Conseil de Guerre de 1894 ayant condamné Dreyfus, et Joseph Reinach, député, journaliste, et l'une des principales figures du mouvement dreyfusard. 
Dans le cadre de son combat pour faire reconnaître l'innocence du capitaine, Reinach entreprit de rédiger une monumentale Histoire de l'Affaire Dreyfus dont le premier volume parut en 1901, et sollicita à cette fin tous les principaux acteurs de l'Affaire. 

Freystätter avait réalisé dès 1898 que le Conseil de guerre dont il était membre, commit une illégalité, et il avait témoigné en ce sens au Conseil de guerre de Rennes en 1899 (Sténographie du Conseil de guerre de Rennes, volume 2, pp. 399 et s.), malgré les pressions de ses supérieurs. A la requête de Reinach, il rédigea en 1900 un long compte-rendu du procès de 1894, et dans une correspondance ultérieure répondit à plusieurs questions supplémentaires posées par son interlocuteur. Nous publions ici ce compte-rendu initial et deux lettres de l'ancien juge dans lesquelles la question du dossier secret de 1894 est à nouveau abordée.



Pierre Gervais et Pierre Stutin
31 janvier 2013





Dossier Secret publié

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Le Dossier secret de l'affaire Dreyfus

accessible librement et gratuitement sur le site Internet du SHD



Pour une présentation de cette opération, rendez vous sur le site :
 


Cliquez sur le logo pour accéder au site
C'est une importante nouvelle pour tous ceux qui s'intéressent à cet événement essentiel de l'histoire de France que constitue l'affaire Dreyfus. Nous avions annoncé il y a quelques mois que le Service Historique de la défense allait numériser et mettre en ligne, sur notre suggestion, le dossier secret de l'Affaire Dreyfus conservé dans ses fonds à Vincennes. C'est désormais chose faite.

Les images de chaque pièce, y compris la notice rédigée par le capitaine Cuignet à l'attention des magistrats de la Cour de cassation en 1898, sont visibles en haute définition via une riche interface. Les moyens mis en œuvre permettent une étude précise de chacun de ces documents. Au total, 374 cotes totalisant 1 055 images sont consultables en ligne.

Par ailleurs, une transcription intégrale réalisée par les auteurs du Dossier secret de l'Affaire Dreyfus (Alma Editeur)Pierre Stutin avec Pierre Gervais et Pauline Peretz, est disponible  ici.

Le dossier secret de l'affaire Dreyfus n'avait jamais été publié dans son intégralité. La mise en ligne sur ce site est donc une première. Véritable fil rouge de ce feuilleton militaro-judiciaire, cet ensemble documentaire a pourtant été le principal objet accusatoire utilisé à l’encontre d'Alfred Dreyfus, dans le cadre des procès militaires et civils, publics ou à huis clos. C'est donc un document historique de première importance que le Service historique de la défense rend accessible au public et aux chercheurs. 


La composition du dossier secret de 1894 reste mal connue, en dépit du rôle-clé qu'il joua dans la condamnation. La raison principale en est qu'il ne demeura pas longtemps dans son état originel. Après sa redécouverte par le lieutenant-colonel Picquart, chef de la Section de statistique en 1896, les militaires, décidés à dissimuler leur crime, limogèrent Picquart et nommèrent à sa place le commandant Henry. Celui-ci, avec la complicité du sous-chef d'Etat-major Arthur Gonse et d'autres hauts gradés, adjoignit au dossier une série de faux, dont l'un, le « Faux Henry », citait Dreyfus en toute lettre.


Cliquez sur l'image pour accéder aux transcriptions 
du Dossier secret de l'affaire Dreyfus.
Le dossier secret consultable aujourd'hui est donc le résultat d'une accumulation de versions successives, augmentées petit à petit pour atteindre 400 pièces et plus de mille pages.
Il faut cependant comprendre ce corpus comme un ensemble dont la clef de voûte est le Faux HenryCette lettre fut écrite par le colonel Henry, alors chef du service des renseignements militaires. Elle était censée avoir été écrite par l'attaché militaire italien Panizzardi, et le nom Dreyfus y figurait en entier, "preuve" que Panizzardi connaissait Alfred Dreyfus. C'est cette lettre qui, à partir de 1896, trompa l'ensemble des autorités civiles et militaire.
Or évidemment, Alfred Dreyfus ne connaissait aucun attaché militaire, en contradiction avec les accusations répétées de l'état-major de l'armée, contrairement à Esterhazy. Et une fois le faux découvert, l'édifice laborieusement édifié en trois années s'effondrait. Mais il fut malgré tout au centre de toutes les procédures judiciaires ultérieures jusqu'en 1906.

Sa lecture laisse rêveur, puisque absolument rien dans ce dossier n'apporte la moindre preuve en appui de l’accusation d'espionnage portée contre le capitaine Dreyfus.

Nous remercions le Service Historique de la Défense pour son accueil et son soutien à cet important projet. Merci en particulier au Contrôleur général Eric Lucas, au général Olivier Paulus, à MMes et MM. Emmanuel Pénicaut, Bertrand Fonck, Mathilde Meyer, Marcellin Hodeir, Sandrine Heiser, Jean-Noël Liabeuf et toute l'équipe de la reprographie.




Pierre Stutin
5 mars 2013

Militaire et dreyfusard ?

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Ces officiers qui ont pris 
le parti d'Alfred Dreyfus



Le lieutenant-colonel Georges Picquart témoin de la défense au procès d'Emile Zola (à gauche de l'image) en février 1898.
Dessin le L. Sabattier dans l'Illustration du 19 février 1898.


Militaire et dreyfusard ? Voilà qui sonne comme une provocation ou un parfait oxymore. Mais il ne faut pas être surpris par la proximité de ces deux mots si on connaît l'affaire Dreyfus. L'historien se trouve en effet devant une réalité factuelle : un certain nombre d'officiers, et même d'officiers d'état major général de l'armée, ont pris officiellement le parti d'Alfred Dreyfus, au cœur même de l'Affaire. Toutefois, cette attitude noble ne doit pas laisser penser que l'armée dans son ensemble fut en fin de compte dreyfusarde. C'était tout le contraire, soit par ignorance soit par esprit de corps. 


L'affaire Dreyfus ne constitue pas nécessairement un affrontement entre la Nation et son armée. Même s'ils furent nombreux, ces officiers qui s'égarèrent activement dans un fanatisme et un antisémitisme inexcusables, d'autres se sont rangés, au nom de la justice et de l'équité, du côté de leur camarade, injustement poursuivi et condamné. Ils ont pris ce risque, un vrai risque, pour venir témoigner en faveur d'Alfred Dreyfus, souvent sans le connaître au préalable. Ils constituent cependant une minorité des 50 000 officiers de l'armée de la République de cette fin de siècle, mais une minorité agissante et souvent efficace. 

En brisant l'esprit de corps et de caste, ils apparaissent en rupture avec l'état-major de l'armée, lui-même compromis. Cette singularité étant rarement relevée, il était donc important de rappeler l'action de ces acteurs clé de l'affaire Dreyfus.

Il faut immédiatement signaler que ces officiers ont choisi une voie courageuse, qui les a exposés aux pires injures, vexations, voire à des préjudices graves, par exemple celui de se faire chasser de l'armée. Après leur intervention dans l'Affaire, ils ont pratiquement tous dû en partir. Nous en présentons aujourd'hui une douzaine parmi les plus marquants.

Le général Georges Picquart en 1906
Le plus connu de ces militaires dreyfusards est le lieutenant-colonel Georges Picquart (1854-1914). Brillant officier, plus jeune lieutenant-colonel de l'armée française en 1895, il est repéré par les plus hautes instances de l'Etat-Major. Il fut nommé chef du très important service des renseignements militaires (Service de statistiques) le 1er juillet 1895. Il était ainsi promis au plus brillant avenir, puisque dans l'esprit de ceux qui l'ont nommé, ce poste devait constituer un tremplin vers de hautes destinées. 
Il est témoin des tous débuts de l'affaire Dreyfus, puisqu'il c'est lui qui accueille le capitaine soupçonné, le jour de son arrestation, le 15 octobre 1894. C'est lui qui assiste au premier procès à huis clos au nom du ministre de la guerre. Lui enfin qui assiste à la dégradation, toujours représentant du ministère.
On connaît son engagement résolu en faveur du capitaine Dreyfus, à compter de 1896. Il intervint à l'occasion de chaque procédure judiciaire, du procès d'Emile Zola jusqu'à la dernière enquête de la cour de cassation en 1903. Il le paya du prix de sa carrière militaire, proscrit, ayant accumulé onze mois de prison préventive, au cours de trois procédures judiciaires distinctes, desquelles il sortira blanchi. 
Rappelons qu'il est arrêté le 13 janvier 1898, le surlendemain de l'acquittement du véritable coupable de la trahison, le commandant Esterhazy, et le jour même de la publication de J'Accuse...! d'Emile Zola dans l'Aurore.
Réhabilité en même temps qu'Alfred Dreyfus, devenu proche de Clemenceau, il parvint à rebondir. Il atteignit en effet les sommets de la hiérarchie militaire jusqu'à être nommé ministre de la guerre de 1906 à 1909. 
En janvier 1914, commandant de corps d'armée, il meurt à 60 ans des suites d'une chute de cheval à Lille, à la veille de la Grande guerre.

Ses dépositions officielles dans l'affaire Dreyfus :
- Procès Zola (1898) : Volume 1 pp. 284, 304, et confrontations pp. 327, 348 et 357 ; Volume 2 pp. 101, 140 et 163 et confrontation p. 106.
- Première enquête de la Chambre criminelle de la Cour de cassation (1898) : Volume 1 p. 125.
- Procès de Rennes (1899) : Volume 1 pp. 368, 397, 659, confrontation pp. 477, 563 et 633 ; Volume 2, p. 119 ; Volume 3 p. 272 et 439.
- Seconde enquête de la Chambre criminelle de la Cour de cassation (1904) : Volume 2 pp. 249, 291 et  530.

Le commandant Ferdinand Forzinetti (1839-1909) est une autre figure connue du dreyfusisme. En 1894, il était le patron des prisons militaires de Paris. A ce titre, il a été désigné responsable de l'incarcération préventive d'Alfred Dreyfus à partir de son arrestation le 15 octobre 1894. 
Le commandant Ferdinand Forzinetti
Vieux routier du monde carcéral dans l'armée française, - il a dirigé plusieurs pénitenciers coloniaux - il reconnut rapidement un innocent en la personne du capitaine Dreyfus. Premier des dreyfusards, Forzinetti fit son possible pour venir en aide à l'accusé. Il fut un réconfort moral incontestable pendant son incarcération. Forzinetti s'opposa aussi plusieurs fois à l'enquêteur militaire, le commandant du Paty de Clam, dont les pratiques excessives vis à vis du prisonnier lui parurent exagérées. Plus tard, il témoigna en faveur d'Alfred Dreyfus lors des enquêtes de la Cour de cassation et au procès de Rennes en 1899.
Sa position n'étant plus tenable au sein de l'armée française, il termina sa vie professionnelle à Monaco, employé par Albert Ier, lui aussi grand défenseur d'Alfred Dreyfus.

Ses dépositions officielles :
- Première enquête de la Chambre criminelle de la Cour de cassation (1898) : Volume 1 p. 316.
Procès de Rennes (1899) : Volume 3 p. 101.

Le capitaine Martin Freystätter en 1894
Le capitaine Martin Freystätter (1857-1919) fut l'un des juges d'Alfred Dreyfus en 1894. Ces magistrats de circonstance, non professionnels du droit, ne disposaient pas des outils critiques pour apprécier la légalité des procédures. 
En apprenant l'illégalité que constituait la lecture d'un dossier secret pendant la délibération du Conseil de guerre, il jugea indispensable de témoigner. Mais il fut le seul des sept juges à entrer dans cette démarche. Il fit une première tentative en 1898, mais pour des questions juridiques, le capitaine Freystätter ne put développer son témoignage devant la Cour de cassation. 
C'est au procès de Rennes, en 1899, qu'il fait une déposition importante et dramatique, confronté à son ancien président, le colonel Maurel ainsi qu'à l'ancien ministre de la guerre, le général Auguste Mercier, auquel il tient tête. Pour une grande part, on lui doit les nombreux détails concernant le délibéré de 1894, ainsi qu'une hypothèse de composition du premier dossier secret.

Ses dépositions  officielles :
- Première enquête de la Chambre criminelle de la Cour de cassation (1898) : Volume 2 p. 5.
Procès de Rennes (1899) : Volume 2, p. 399
Albert Cordier au procès
de  Rennes en 1899

Le lieutenant colonel Albert Cordier (1844-1908) fut l'adjoint du 
colonel Sandherr, chef du Service de la statistique, pendant plus de huit ans (janvier 1887 - juillet 1895). Totalement persuadé de la culpabilité d'Alfred Dreyfus en 1894, probable auteur de fuites dans la presse sur son incarcération, il opère un virage à 180° dès l'annonce du suicide du colonel Henry. A l'automne 1898, il fait savoir qu'il parlera à l'enquête de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, ce qu'il fait. 
Sa déposition fait l'effet d'un coup de tonnerre au procès de Rennes, au cours de laquelle de nombreux officiers antidreyfusards lui sont opposés, lors de confrontations. Mais il tint bon face aux attaques. Il apporta beaucoup de précisions sur les débuts de l'Affaire, notamment sur la manière dont le dossier secret fut confectionné.


Ses dépositions  officielles :
- Première enquête de la Chambre criminelle de la Cour de cassation (1898) : Volume 1 pp. 295 et 304.
Procès de Rennes (1899) : Volume 2, p. 399


Le colonel Jouaust à la lecture du verdict
à Rennes, dans l'Illustration du 16 septembre 1899
Le colonel Albert Jouaust (1840-1927) présida le Conseil de guerre de Rennes en août et septembre 1899. Faisant grande impression avec ses longues moustaches de neige, ce sapeur de formation  commande le Génie à Rennes pendant dix ans. Secrètement dreyfusard, il ne clamait pas publiquement son opinion. Il tenta de mener les débats objectivement, en laissant longuement la parole aux deux parties, trop aux antidreyfusards d'après les défenseurs d'Alfred Dreyfus qui le crurent fanatiquement opposé à l'accusé. Son ton cassant, abrupt, et ses échanges secs avec maître Henri Labori, achevèrent de l'y faire penser. Mais en fin de compte, prenant la parole le dernier lors des délibérés, il créa la surprise du Conseil en votant pour l'innocence du capitaine, avec un autre juge, le commandant Charles de Lancrau de Bréon (1846 - 1927). Ce fut insuffisant pour innocenter Alfred Dreyfus, mais à une voix près seulement. Car le code de justice militaire statue que dans le cas où trois juges votent pour l'innocence, l'accusé est acquitté à la minorité de faveur. 
Mis en quarantaine par le monde militaire, Jouaust fut en définitive poussé à la démission pour avoir voté en faveur de Dreyfus, vote qu'il fut sommé d'avouer au sein de sa garnison à Rennes.


D'autres officiers sont moins connus ; mais ils ont eu pourtant une influence certaine sur le cours de la procédure visant à réhabiliter Alfred Dreyfus.
Le général Hippolyte Sebert
Un groupe, que l'on peut dénommer les officiers techniciens, apparurent à l'occasion de la première révision (1898-1899). Ces ingénieurs militaires confirmèrent tous leur déposition en public, lors du deuxième Conseil de guerre, à Rennes, en août et septembre 1899.
Ainsi en est-il du général Hippolyte Sebert (1839-1930), des commandants Joseph Ducros (1853-1901) et Gaston Hartmann (1851-1922) et du capitaine Julien Carvallo (1866-1929).
Ces quatre officiers étaient des experts techniques dans le domaine de l'artillerie ; ils démontrèrent tous l'impossibilité du fait qu'Alfred Dreyfus ait pu écrire le bordereau. Un officier d'artillerie, polytechnicien de surcroît, ne pouvait pas en être l'auteur, à cause d'importantes imprécisions et erreurs dans le texte de la lettre.
En outre, le commandant Ducros signala que lorsqu'il était responsable de la mise au point d'un nouveau canon pour l'armée française, Alfred Dreyfus n'était jamais venu le voir, alors que le commandant l'avait invité à le faire. Un véritable espion se serait à coup sûr jeté sur une occasion pareille.
Tous ces officiers furent poussés à la démission, certains comme le commandant Hartmann, à la suite de drames familiaux. Son fils, jeune officier, brimé du fait de l'engagement de son père, fut poussé à l'épuisement total et à la mort, alors que malade, son chef de corps l'avait forcé à une marche de 40 km.
Le lieutenant Bernheim, le capitaine Carvallo et le commandant Hartmann
croqués dans l'Illustration du 9 septembre 1899
Les dépositions officielles du général Sebert :
- Première enquête de la Chambre criminelle de la Cour de cassation (1898) : Volume 1 p. 473.
- Procès de Rennes (1899) : Volume 3 p. 168.
Les dépositions  officielles du commandant Ducros :
- Première enquête de la Chambre criminelle de la Cour de cassation (1898) : Volume 1 p. 515.
- Procès de Rennes (1899) : Volume 3 p. 181.
Les dépositions  officielles du commandant Hartmann :
- Première enquête de la Chambre criminelle de la Cour de cassation (1898) : Volume 1 p. 518.
- Procès de Rennes (1899) : Volume 3 p. 187.
La déposition  officielle du capitaine Carvallo :
- Procès de Rennes (1899) : Volume 3 p. 153.

Le lieutenant Fernand Bernheim (1869-1944), polytechnicien, était officier d'artillerie à Rouen, au même moment que le commandant Walsin Esterhazy, qu'il connut. Bernheim vint témoigner de l'intérêt de l'officier pour les questions d'artillerie. Le lieutenant Bernheim informa le Conseil de guerre de Rennes que le commandant Esterhazy avait reçu de lui une réglette de tir qu'il n'a jamais rendue. Cette déclaration établissait l'intérêt d'Esterhazy pour la recherche de renseignements techniques sur l'artillerie, contrairement aux dénégations de l'accusation contre Alfred Dreyfus. 
Il poursuivit une carrière d'ingénieur civil à partir de 1900. Mais cet officier connut un destin tragique pendant la Seconde guerre mondiale.
A la suite du meurtre de Philippe Henriot, le 28 juin 1944, Fernand Bernheim est arrêté à sa résidence de Saint-Amand-Montrond le 21 juillet 1944 par la Milice, remis à la Gestapo et assassiné le 24 juillet lors de la tragédie des puits de Guerry.

Les dépositions  officielles du lieutenant Bernheim :
Procès de Rennes (1899) : Volume 1 pp. 368, 397, 659, confrontation pp. 477, 563 et 633 ; Volume 2, p. 119 ; Volume 3 p. 245.
Seconde enquête de la Chambre criminelle de la Cour de cassation (1904) : Volume 2 p. 358.

François de Fonds Lamothe
à l'école polytechnique.

Le capitaine François de Fonds Lamothe (1856 - 1922), ancien camarade d'Alfred Dreyfus, témoin à charge lors du procès de 1894, vient témoigner en faveur d'Alfred Dreyfus à Rennes cinq ans plus tard. Il affirme notamment que le capitaine ne pouvait pas avoir cru qu'il partirait en manœuvres, comme l'indique la fin du Bordereau. Une circulaire du général de Boisdeffre avait en effet prévenu les officiers stagiaires au mois de mai 1894, qu'ils n'iraient pas en manœuvres cette année là, et qu'il ne pouvait y avoir aucun doute dans l'esprit d'aucun officier à ce sujet. Au moment de sa déposition, François de Fonds Lamothe avait démissionné de l'armée et exerçait une activité d'ingénieur civil.


La déposition  officielle de François de Fonds Lamothe :

Procès de Rennes (1899) : Volume 3 p. 286.


Le général Louis André
A partir de 1903, la seconde révision s'engagea, sous l'autorité du général Louis André (1838-1913), polytechnicien, ministre de la guerre, déterminé à faire la lumière complète sur l'affaire Dreyfus. 
Il décida de mener une enquête interne et en chargea le capitaine Antoine Targe (1865 - 1942) qui s'en acquitta de manière éclatante, aidé en cela par l'autorité complète que lui conféra le général André. 
Cette enquête débuta le 4 juin 1903, et dura trois mois. Le 19 octobre, le ministre de la Guerre établit une synthèse de l'enquête. Targe avait découvert de nombreux faux dans les bureaux du ministère de la Guerre, ainsi que des pièces comportant des altérations matérielles. 
L’enquête révéla aussi que des documents à décharge en faveur du capitaine Dreyfus avaient été cachés. 
Le 22 novembre 1903, Jean Jaurès communiqua une partie de ces conclusions à Alfred Dreyfus. Celui-ci remercia l'enquêteur pour « sa sagacité et son ardeur dans la recherche de la vérité. » 
C'est le résultat de cette enquête qui aboutit enfin à la réhabilitation juridique du capitaine Dreyfus le 6 juillet 1906.

On ne peut pas terminer cette énumération sans citer le colonel Emile Mayer (1851-1938). Bien qu'il n'ait pas été acteur direct de l'affaire Dreyfus, il y fut présent et en subit quelques conséquences fâcheuses. 
Le colonel Mayer vers 1935
Cet officier d'artillerie, original dans tous les domaines, écrivain contrarié, livrait des chroniques militaires (plus de 6 000 en tout) à de nombreux périodiques. Parmi eux, on peut citer le Journal des Sciences militaires, le Journal de la librairie militaire, la Revue scientifique, la Bibliothèque universelle de Lausanne et la Revue militaire suisse dans laquelle il tient une « chronique française » ainsi que dans la Revue de Lausanne.
Antidreyfusard comme de très nombreux de ses camarades, convaincu par l'unanimité des juges de 1894, Emile Mayer commence à douter de la culpabilité d'Alfred Dreyfus au fil des avatars de l'Affaire, et change d'avis au moment du suicide du colonel Henry à l'été 1898. 
Dès lors, il s'engage résolument dans une critique de l'esprit de corps et d'une justice militaire aux ordres.
Alors qu'il employait un pseudonyme en guise de signature, une enquête est ouverte en mai 1899, à l'instigation du député Joseph Lasies. On découvre rapidement que l'auteur de ces pamphlets est le commandant Mayer, en garnison à Douai.
A cette époque, publier sans autorisation était puni d'arrêts de rigueur ; mais l'hystérie généralisée à la veille de la cassation du premier procès d'Alfred Dreyfus amène la révocation pure et simple du commandant. Il n'est réintégré qu'en 1906 au moment de la réhabilitation d'Alfred Dreyfus.
Passé colonel pendant la Grande guerre, et ami de Foch, ce penseur tiendra un salon couru pendant l'entre-deux-guerres et y accueillera notamment un certain colonel de Gaulle, avec qui il se lie d'une amitié solide. C'est à cette occasion que le futur général y fera les rencontres qui lui permettront d'accéder au poste de sous-secrétaire d'état à la guerre de l'administration Reynaud, puis plus tard, aux sommets de l'état. 

Bien d'autres officiers pourraient compléter cette liste déjà longue comme le lieutenant William Chaplin, qui adresse une lettre félicitation à Emile Zola, et se voit mis en non activité c'est-à-dire mis à pied en langage militaire ; le Commandant Galopin, témoin de la défense à Rennes ; le capitaine Pierre Ruffey dépose en faveur d'Alfred Dreyfus en 1894 ; le général Messimy poussé à la démission parce qu'il prend la parole en faveur d'Alfred Dreyfus.

Comme on le voit, il y eut donc une minorité contestataire au sein de l'armée française. Elle eut la parole, elle s'exprima, y compris au travers des pétitions nombreuses, dans lesquelles on note la présence de plusieurs dizaines d'officiers, qui ont tous fait l'objet d'enquêtes et de représailles comme l'indique le Procureur Baudouin dans son réquisitoire à la Chambre criminelle de la Cour de cassation (p. 552).
Mais ces actes restent le fait d'une minorité dans le monde militaire, où la majorité considèrera longtemps Alfred Dreyfus coupable quels que soient les arguments avancés.
Seule une institution civle, la Cour de cassation, parviendra à faire la totale lumière sur cette affaire, après une enquête détaillée ne laissant dans l'ombre aucune accusation. 
Et à casser sans renvoi les jugements rendus contre le capitaine Dreyfus, enfin réhabilité en 1906. Douze ans après sa première condamnation.

Bibliographie sommaire :

  • André Bach, L'armée de Dreyfus, Une histoire politique de l'armée française de Charles X à "l'Affaire", Tallandier, 2004.
  • Christian Vigouroux, Georges Picard, dreyfusard, proscrit, ministre, La justice par l'exactitude, Dalloz, 2008
  • Vincent Duclert (Dir.), Le colonel Mayer : de l'affaire Dreyfus à de Gaulle, un visionnaire en république, Armand Collin, 2007

Pierre Stutin
18 mars 2013

Procès de Rennes

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Nouveau 

Numérisation des minutes du Procès de Rennes (Suite)

Tome 2

Le procès de Rennes est l'un des grands moments publics de l’affaire Dreyfus avec le procès d’Emile Zola en février 1898, lequel s’était déroulé un an et demi plus tôt. Le procès de Rennes a lieu quant à lui en août et septembre 1899. Nous en livrons le second volume numérisé en mode texte intégral sous la forme d'un PDF.


Comme nous l'indiquions précédemment, nous livrons les volumes de la sténographie du procès en révision d'Alfred Dreyfus au fur et à mesure de leur réalisation.
Il s'agit, nous le rappelons aussi, d'une numérisation plein texte indexée, ce qui permet une recherche efficace dans le texte.

Ce volume est intéressant à plus d'un titre. Les sept audiences qui se déroulent du 22 au 29 août 1899, voient toujours défiler les militaires accusateurs et les experts qui s'entêtent à trouver que l'écriture du bordereau ressemble plus à celle d'Alfred Dreyfus qu'à celle du commandant Esterhazy, malgré l'évidence. Mais le Conseil de guerre et son président paraissent lassés des démonstrations capillotractées des Bertillon et consorts.

Bien plus intéressantes sont les deux grands moments dreyfusards de cette période, dépositions révélatrices de nombreux événements inconnus du public jusqu'à ce moment du procès.

La première d'entre elles est celle du colonel Cordier (p. 496). Cet ancien adjoint du colonel Sandherr, n°2 de la Section de statistiques, fut très certainement l'un des moteurs de l'accusation en 1894. On le signale comme activement antisémite, avide lecteur de Libre Parole. Il change d'avis en 1898, du fait du suicide du colonel Henry mais aussi probablement du fait d'un ressentiment lié à son éviction de l'état-major de l'armée. Reste que Cordier dépose de manière consistante et que les militaires lui opposent de nombreuses contradictions afin d'en atténuer la valeur. 

La seconde est la très importante déposition du capitaine Freystätter (p. 399). Cet officier est en effet le sel juge de 1894 à déposer. Choqué par l'illégalité involontaire constituée par la lecture d'un dossier secret pendant les délibérés, il décide de témoigner le plus complètement possible. Il livre une version du dossier secret, toujours contestée aujourd'hui car elle ne corrobore pas celle du colonel Picquart. 
Le capitaine Freystätter est confronté au président de Conseil de 1894, le colonel Maurel, (p. 400) qui conteste mollement les affirmations franches de l'officier-juge. Mercier est obligé d'intervenir et crée l'incident en traitant Freystätter de menteur (p. 402).



P. Stutin 
7 avril 2013

INFOS

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Actualités de l'affaire Dreyfus


Même si les grands rendez-vous commémoratifs sont désormais passés, l'affaire Dreyfus reste un événement important et célébré à en juger par l'actualité consistante de ces dernières semaines. Les numérisations de documents vont bon train et on assiste même à des ventes de lettres sorties de l'oubli.


Des photos rares d'Alfred Dreyfus
Alfred Dreyfus photographié fin juin 1899 sur le pont du Croiseur Sfax lors
de sa promenade quotidienne
. Source http://www.archives-brest.com
A l'occasion de la numérisation du dossier secret militaire de l'affaire Dreyfus, les Archives de Brest publient un billet d'information, illustré par six photographies rarissimes tirées du fonds d'archives photographiques de Brest.
Cette série a été prise lors du transfert d'Alfred Dreyfus de l'Ile du Diable vers la Bretagne.

A la suite d'une enquête minutieuse de la Chambre criminelle de la Cour de Cassation, la Cour suprême casse le jugement de 1894 le 3 juin 1899 et renvoie vers un nouveau Conseil de guerre qui doit se tenir à Rennes.

Le 9 juin 1899, Alfred Dreyfus quitte l’île du Diable pour toujours. Il embarque sur le Sfax, un croiseur de la Marine nationale. La destination initiale était Brest, mais pour des raisons de sécurité, le port de destination sera finalement Quiberon qui est abordé le 30 juin. Alfred Dreyfus est incarcéré à la prison militaire de Rennes le lendemain 1er juillet.

Les photographies des archives de Brest montrent un Alfred Dreyfus harassé et barbu, mais confiant. C'est un témoignage photographique émouvant et jusqu'ici, très rarement exposé.

La série est consultable en suivant ce lien : Archives municipales et communautaires de Brest.





Le brouillon d'un article de Zola numérisé
La Une de l'Aurore du 22 décembre 1900. Source : gallica.bnf.fr


Gallica, la bibliothèque numérique de la Bibliothèque Nationale de France, vient d'annoncer la numérisation du manuscrit d'un article d'Emile Zola.

Emile Zola, qui fut journaliste avant de devenir le grand écrivain reconnu des Rougon-Macquart, a publié de très nombreux articles. Outre le célébrissime J'Accuse...! paru dans l'Aurore du 13 janvier 1898, il est l'auteur d'une impressionnante série sur l'affaire Dreyfus.

A l'issue du procès de Rennes, qui voit le capitaine Dreyfus une nouvelle fois injustement condamné en septembre 1899, le gouvernement forme le projet de faire voter une loi d'amnistie concernant toutes les procédures connues et en cours la concernant. 
L'objectif affirmé des auteurs du projet de loi est de pacifier le pays après deux années de quasi guerre civile.

Si cette loi met à l'abris plusieurs acteurs dreyfusards injustement poursuivis comme le colonel Georges Picquart et Emile Zola lui-même, elle blanchirait par la même occasion  les auteurs des faux, et des procédures illégales suivies à l'encontre d'Alfred Dreyfus.
Les faussaires ne seraient donc pas poursuivis et resteraient impunis.

Emile Zola décide donc d'intervenir une nouvelle fois publiquement, afin de dénoncer ce projet par le moyen d'un nouvel article à l'éloquence consommée. Cette fois l'article s'adresse non plus à Félix Faure, à l'instar de J'Accuse...!, mais à Emile Loubet, le successeur du précédent. Beaucoup moins polémique que J'Accuse...!, ce nouvel article laisse la place à l'indignation d'Emile Zola, sans pouvoir infléchir 

Le brouillon de cet article que vient de mettre en ligne Gallica, avec le concours de la bibliothèque de la Cour de cassation, propriétaire du manuscrit, est un témoignage de première importance qui enrichit encore le corpus conséquent consacré à l'affaire Dreyfus sur la bibliothèque numérique de la BnF.


Une lettre d'Alfred Dreyfus aux enchères
L'entête de la lettre d'Alfred Dreyfus  mise aux enchères prochainement.
Crédit photo : WestImage - Art Digital Studio

Le Figaro signale ces derniers jours la mise en vente aux enchères d'une missive qu'Alfred Dreyfus avait envoyée à Georges Leygues, alors ministre de l'Intérieur, le 26 janvier 1895. Le prix de l'enchère se situerait entre 100 000 et 150 000 euros. 

Cette courte lettre porte l'en-tête du dépôt des forçats de Saint-Martin de Ré. C'est qu'en effet, à l'issue de sa dégradation publique le 5 janvier 1895, le capitaine Dreyfus est transféré le 15 janvier sur le littoral, sur l'île de Saint-Martin de Ré, en attente de son transfert sur les îles du Salut au large de la Guyanne. 
Ce transfert intervient le 21 février suivant.

Alfred Dreyfus n'a jamais douté que son innocence ne soit un jour reconnue. Très énergique, il écrit des centaines de lettres pendant toute la durée de sa détention, en direction de sa famille, bien sûr, mais aussi à l'attention de tous les organes de l'état susceptibles de lui venir en aide. Le ministre de la Guerre et le chef d'état-major de l'armée sont ses correspondants privilégiés, mais il adresse aussi des courriers à d'autres ministères, voir directement au Président de la république.

C'est ainsi qu'il écrit ce jour là au ministre de l'Intérieur afin que ce dernier agisse pour trouver le véritable coupable de la trahison. Inutile de préciser qu'aucun de ces nombreux courriers ne reçut jamais la moindre réponse. Jusqu'à l'été 1898 et le suicide du colonel Henry, l'ensemble des pouvoirs publics sont convaincus de la culpabilité d'Alfred Dreyfus.

Un témoignage intéressant dont on peut former l'espoir que l'état se portera acquéreur, malgré le prix prohibitif du document.

Pierre Stutin
21 avril 2013



Numérisation

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Archives Dreyfus numérisées au
Musée de Bretagne



Indispensable au chercheur comme au passionné d'histoire, l'archive numérisée permet l'accès à distance à des corpus de plus en plus consistants. Le Musée de Bretagne à Rennes vient de mettre en ligne ses archives consacrées à l'affaire Dreyfus

Issue pour partie d'un important legs de la fille du capitaine Dreyfus, Jeanne Lévy en 1978, la collection conservée au Musée de Bretagne compte quelques 6 800 documents.
Une salle permanente "Affaire Dreyfus" a été réalisée dans ce beau musée, afin d'en exposer une partie, et c'est assez naturellement, dans un processus général de numérisation, que les responsables des collections ont pu engager des travaux qui permettent aujourd'hui d'accéder librement aux documents. A terme, le musée annonce la numérisation de plus de 100 000 documents.

La collection contient ainsi de très nombreuses pièces originales, qui sera enrichie d'ici la fin de l'année 2013 : beaucoup de correspondances diverses, reçues par le capitaine Dreyfus pendant et après l'affaire, mais aussi des cartes postales, des caricatures, des coupures de journaux et des objets. Tous témoignages qui illustrent de manière parfois poignante cet important événement.
Par ailleurs, les responsables du musée annoncent que la collection est destinée à grandir encore grâce à des acquisitions.

Nous signalons cependant quelques difficultés liées à cette numérisation. En premier lieu, l'ergonomie du site apparaît très ambiguë. Il faut passer de nombreuses pages pour parvenir aux collections. Il est nécessaire en effet d'atteindre une page de recherche et y entrer la clef "affaire dreyfus", ce qui n'est expliqué nulle part ; cette page ne renvoie en outre que 622 résultats seulement sur les 6 800 escomptés. Voici l'accès direct à la page de consultation :


En second lieu, on ne peut que regretter une numérisation en basse définition associée à un filigranage "Musée de Bretagne" en pleine image, qui gênent souvent la consultation. Le Musée de Bretagne compte apparemment commercialiser ses images en haute définition ce qui est dommage, mais cependant compréhensible au vu du temps nécessaire à ces opérations et des coûts associés. 

Il reste, malgré ces difficultés, qu'on ne peut que saluer cette initiative qui enrichit de manière importante le paysage numérique autour de l'affaire Dreyfus.

Musée de Bretagne :
10 cours des Alliés
35000 Rennes (France)

Horaires :
De septembre à juin, ouverture au public :
- Mercredi, jeudi et vendredi de 12h à 19h
- Mardi de 12h à 21h
- Samedi et dimanche de 14h à 19h
- Fermeture : lundi et jours fériés


Pierre Stutin
1er mai 2013









Le dossier secret chez Franck Ferrand

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Les auteurs du 
Dossier secret de l'Affaire Dreyfus
invités d'Europe 1





Pauline Peretz et Pierre Gervais, co-auteurs du livre Le dossier secret secret de l'Affaire Dreyfus (Alma Editeur) seront les invités de l'émission d'Europe 1Au cœur de l'Histoire :





Yvres Duteil, auteur-compositeur-interprète, petit neveu du capitaine Dreyfus, est aussi invité à l'émission et évoquera le calvaire de son aïeul.



Pour en savoir plus sur le livre, cliquez sur l'image ci-dessous.






Pour accéder directement au dossier secret de l'affaire Dreyfus, cliquez sur le logo du Service historique de Défense ci-dessous :














Procès de Rennes

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Nouveau 

Numérisation des minutes du Procès de Rennes (Suite et fin)

Tome 3

Nous achevons aujourd'hui l'important travail de numérisation de l'intégralité des minutes du procès de Rennes, dont le Conseil de guerre a jugé une deuxième fois Alfred Dreyfus en août et septembre 1899. Les trois volumes sont donc disponibles, numérisés en mode texte cherchable, en téléchargement libre et gratuit.


Comme nous l'indiquions précédemment, nous livrons les volumes de la sténographie du procès en révision d'Alfred Dreyfus au fur et à mesure de leur réalisation.
Il s'agit, nous le rappelons aussi, d'une numérisation plein texte indexée, ce qui permet une recherche efficace dans le texte même.

De nombreux officiers interviennent dans le cadre de dépositions en faveur d'Alfred Dreyfus. Ce sont pour la plupart des spécialistes qui déposent sur les aspects techniques du bordereau, principalement autour de l'artillerie. Ces dépositions tournent invariablement en confrontations avec le groupe des militaires-procureurs, et les premiers parviennent facilement à tenir tête aux seconds, par une argumentation acérée.

Le défilé des témoins se clôt avec une magnifique déposition du sénateur Trarieux, dans laquelle il résume lumineusement l'affaire Dreyfus en dressant une liste des contradictions majeures qui font d'Alfred Dreyfus un innocent inexcusablement condamné.

De nombreuses pressions avaient été exercées par le Gouvernement, afin que le commandant Carrière, porteur de l'accusation, abandonne cette accusation contre Alfred Dreyfus. L'abandon de l'accusation aurait entraîné l'acquittement immédiat de l'accusé, constaté par le Conseil de guerre en une délibération symbolique.
Mais complètement manipulé par le groupe Mercier-Roget, le procureur maintient l'accusation tout en prononçant un réquisitoire banal et sans envergure. 
Edgar Demange et Fernand Labori tentent l'impossible défense du capitaine Dreyfus.
La défense du capitaine Dreyfus avait commencé à se déliter assez tôt dans le procès. Un antagonisme s'était fait jour dès avant son début car les stratégies des deux défenseurs étaient relativement opposées.
Edgar Demange était partisan d'une solution de compromis qui alliait la défense de son client avec une attitude bienveillante vis-à-vis de ses accusateurs. L'objet étant de ménager la chèvre et le chou, de ne pas braquer les militaires, de ne pas appuyer l'attaque trop durement.
Fernand Labori était d'un avis contraire. Pour lui l'Affaire dépasse la cause. Il veut faire le procès de l'état-major, des militaires compromis dans les multiples malversations, délits et crimes qui se succèdent jusqu'en 1899. 

C'est la ligne Demange qui l'emporte. Peu avant les plaidoiries, Jean Jaurès, à la demande des principaux dreyfusards dont Mathieu Dreyfus, vient demander à Labori de renoncer à sa plaidoirie. Après un dialogue dramatique entre les deux hommes, l'avocat finit par accepter. Il ne plaidera pas. C'est le dernier coup de théâtre de ce long procès.

A noter que ce troisième volume comporte les notes de plaidoirie de Fernand Labori en annexe (p. 755).

Malgré ce renoncement, Alfred Dreyfus est une nouvelle fois condamné, mais cette fois à cinq voix contre deux. Deux officiers, dont le président du Conseil de guerre, ont eu le courage de dire non. 
La condamnation est assortie des circonstances atténuantes, ce qui provoque un scandale. On se demande en effet comment il est possible de condamner un officier pour trahison tout en lui reconnaissant des circonstances atténuantes. 

La sténographie intégrale du Conseil de guerre de Rennes est un volumineux document de plus de deux mille pages, riche d'enseignements et d'informations, un témoignage unique à lire et à relire.

Pierre Stutin
18/08/2013









Clemenceau sur France 2

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Un tigre au grand 
cœur



Stéphane Bern présentateur de l'émission Secrets d'Histoire consacrée à Georges Clemenceau


Mardi 3 décembre prochain, à 20 h 45, la chaîne de télévision France 2 consacrera une grande émission de Secrets d'Histoireà Georges Clemenceau, dans le cadre du centenaire du début de la Grande Guerre. Présentée par Stéphane Bern, l'émission réunit une vingtaine d'invités, personnalités, historiens et biographes. L'émission traite de l'ensemble de la vie de Clemenceau et aborde ainsi naturellement l'affaire Dreyfus. Elle a pris en effet une place prépondérante dans la relance de la vie politique de Clemenceau. Cet épisode est traité de manière détaillée avec un tournage spécifique dans les lieux évocateurs de cette période centrale dans la vie du Tigre.

Politicien hors du commun, Georges Clemenceau collectionne les surnoms : le Tigre, le tombeur de ministères, le premier flic de France, le Père la Victoire… Autant de facettes liées à un homme au caractère bien trempé et au courage exemplaire. Mais ce petit gaulois à moustaches réputé invincible dont le verbe fleuri animera la IIIe République, ce justicier engagé aux côtés du capitaine Dreyfus, ce ministre de l'Intérieur redoutable, ce député intraitable, cet académicien qui ne siègera jamais sous la Coupole, est aussi, avec la même passion, un amoureux des femmes... et des roses !

Anticlérical assumé, adversaire de la colonisation et de la peine de mort, il est aussi un défenseur acharné de la culture, des impressionnistes et de son ami le peintre Claude Monet chez qui il va fêter la victoire de 1918 dans ses jardins de Giverny...

Pierre Stutin, co-auteur avec Pierre Gervais et Pauline Peretz, du livre Le Dossier Secret de l'Affaire Dreyfus (Alma Editeur), est invité de l'émission, afin d'évoquer l'intervention de Clemenceau dans l'affaire Dreyfus. La séquence a été notamment tournée dans le cadre de la Première chambre de la Cour d'appel de Paris, lieu du procès d'Emile Zola en février 1898

Avec la participation de : Eric Clemenceau (arrière petit-fils de Georges Clemenceau), Jean-Noël Jeanneney (historien et biographe), Michel Winock (biographe et historien), Manuel Valls (ministre de l’Intérieur), Michel de Decker (historien), Jean- Yves Le Drian (ministre de la Défense), Sylvie Brodziak (historienne), Christophe Soulard (biographe), Daniel Vaillant (ancien ministre de l’Intérieur, député maire du 18e arrondissement de Paris), Alexandre Duval-Stalla (biographe), Bruno Fuligni (historien), Jean-François Copé (député maire de Meaux), Jean Artarit (biographe), Jean Garrigues (historien), Charles Diaz (historien), Jean-Yves Le Naour (historien), Vincent Duclert (historien), François Guillet (historien), Patrick de Gmeline (historien), général Bertrand Ract-Madoux (chef d’état-major de l’Armée de Terre) et Gérard Minart (biographe).

Emission écrite et réalisée par Dominique Leeb.

Georges Clemenceau

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Un tigre dans l'affaire Dreyfus


Peu d'hommes politiques se sont engagés aussi franchement en faveur d'Alfred Dreyfus. On pense à des exceptions de taille comme Auguste Scheurer-Kestner, vice-président du Sénat ou Jean Jaurès, le finisseur, qui donne la dernière impulsion en 1903, aboutissant enfin à la réhabilitation du capitaine Dreyfus en 1906. Cela ne représente toutefois qu'une faible portion du personnel politique de la IIIe République au tournant du siècle. Mais ces engagements furent décisifs et ce long combat judiciaire et politique n'aurait sans doute pas eu cette issue positive sans l'action déterminante de Georges Clemenceau.
Clemenceau par Eugène Carrière en 1889
Musée d'art moderne de Troyes
Georges Clemenceau (1841-1929), 53 ans en 1894, n’entra pas immédiatement dans l’affaire Dreyfus. Il participa essentiellement à la deuxième affaire : de novembre 1897 à septembre 1899.
A son début, il n'intervint qu'une seule fois, par un violent éditorial paru dans la Justice du 25 décembre 1894, par lequel il regrettait la clémence des lois à l’égard du « traître », bien que pourtant farouchement opposé à la peine de mort, jusqu'ici. 

L'avocat Louis Leblois, ami d'enfance du colonel Picquart
à l'origine de la relance de l'affaire Dreyfus à l'automne 1897
Dès janvier 1895 et jusqu’en 1897, Georges Clemenceau se désintéressa complètement de l’affaire Dreyfus. Pour l’immense majorité des Français, sinon la totalité de l'opinion publique, le verdict unanime rendu par les sept magistrats militaires était incontestable. Il en profita pour voyager, notamment en Italie, où il ignora complètement les divers rebondissements de l’affaire Dreyfus jusqu’en 1897.

Dans cette période, il fut plusieurs fois approché par Mathieu Dreyfus, frère du condamné, qui se consacrait avec une énergie farouche à la réhabilitation d'Alfred. Clemenceau refusa de s’engager parce qu’il croyait toujours à la culpabilité du capitaine Dreyfus. Clemenceau considérait que le capitaine avait été justement et légalement condamné, faute de preuve du contraire, qu'à ce moment, personne n'était en mesure de lui apporter.

Ernest Vaughan, fondateur de l'Aurore en 1897
propose le poste d'éditorialiste à Georges Clemenceau.
Le tournant pour Clemenceau, ce fut l’automne 1897, le moment où il fit cesser la parution de son journal, la Justice, en grande difficulté financière. Ayant perdu tous ses mandats électoraux en conséquence du scandale de Panama en 1893, il se vit proposer, par Ernest Vaughan, une participation à la création de l’Aurore. Le n°1 parut dès le 19 octobre de la même année. Deux conditions étaient toutefois posées par Vaughan : que Clemenceau ne fasse pas sa propre publicité électorale et qu'il renonce au poste de rédacteur en chef du journal. En effet, Vaughan, homme original, ne souhaitait pas de patron de rédaction à l'Aurore. Clemenceau accepta.

Quelques semaines auparavant, le colonel Georges Picquart, ancien chef des renseignements militaires, limogé en Tunisie parce qu’il avait découvert l’innocence de Dreyfus, missionna son ami avocat Louis Leblois, afin de défendre ses intérêts. Leblois approcha son compatriote alsacien Auguste Scheurer-Kestner, vice-président du Sénat, et le mit dans la confidence. Peu à peu, la rumeur d'un engagement résolu du vice-président en faveur du capitaine Dreyfus se répandit dans tout Paris.
Le colonel Georges Picquart, éloigné en
Tunisie, brise sa carrière en témoignant
en faveur d'Alfred Dreyfus
Informé des derniers développements de l'affaire par son ami et collaborateur de l’AuroreArthur Ranc, Clemenceau alla à la rencontre d'Auguste Scheurer Kestner, un vieil ami de lutte républicaine, qui le convainquit de l’irrégularité des procédures menées à l’encontre d’Alfred Dreyfus, en lui montrant des spécimens d'écriture du commandant Esterhazy.

C'est ainsi que le 1er novembre 1897 marque l’entrée officielle de Georges Clemenceau dans l’affaire Dreyfus, puisqu’il rédigea son premier « article de tête » (on ne parlait pas encore d’éditorial à cette époque) sur le thème de l’affaire Dreyfus. Un article dans lequel il marque toujours un certain scepticisme vis à vis d'une éventuelle innocence d'Alfred Dreyfus.
C'était cependant le premier des 665 articles qu’il consacra à l’Affaire, dans le journal l'Aurore et dans la Dépêche de Toulouse. Au total, plus de 4 000 pages furent produites par ce travailleur infatigable sur cet unique sujet, réunies en sept volumes, parus entre 1899 et 1903 (v. la liste à la fin de l'article ci-dessous).

Clemenceau y  démontra inlassablement et avec un certain acharnement, que l'affaire Dreyfus n'était pas qu'une affaire où s'exprimaient les plus bas instincts antisémites, mais constituait au surplus, une atteinte grave aux libertés publiques et à la République elle-même. 
C'est donc pour le futur Père la Victoire un moment de basculement, où toutes ses convictions se virent remises en cause et l'obligèrent à revoir complètement sa vision des institutions démocratiques et républicaines. L'affaire Dreyfus constituait de ce fait un nouveau départ dans la vie politique de Clemenceau.

J'Accuse...!

A l’issue de l’acquittement scandaleux du véritable traître, le comte Ferdinand Walsin Esterhazy, lors d’une parodie de justice le 11 janvier 1898, Zola publia le plus célèbre article de la presse française : J’Accuse… !


Clemenceau fit partie de ceux qui convainquirent Émile Zola d’être le héraut d’une nouvelle affaire Calas, dans laquelle Voltaire s'était illustré un siècle auparavant ; c’est donc par l'entremise de Clemenceau, entre autres, que Zola apporta J’Accuse… ! au journal l’Aurore. L'article avait été initialement prévu en brochure, puisque le Figaro ne souhaitait plus publier l'écrivain depuis le mois de décembre précédent.

Signalons que cet article avait été préparé par Zola depuis plusieurs semaines déjà, contrairement à une légende tenace qui veut qu’il l’ait écrit spontanément, dès le verdict d’acquittement d’Esterhazy connu.(1)

La Une de l'Aurore du 13 janvier 1898.
Zola s'expose publiquement

(Photo Gallica)
C’est Clemenceau qui trouva le titre célèbre, avec le concours d’Ernest Vaughan, le directeur de l’Aurore(2) Vaughan voulait faire des affiches et le titre initialement prévu par Zola, Lettre au Président de la République, trop long, ne convenait pas du tout. Clemenceau s'adressant à Ernest Vaughan :


« Mais Zola vous l'indique lui-même, le titre. Il ne peut y en avoir qu'un : j'accuse ! »

L’article d’Émile Zola parut ainsi le lendemain 13 janvier 1898 sur six colonnes à la Une ; 4 500 mots formant un pamphlet volontairement diffamatoire, provocateur envers les pouvoirs publics et les autorités militaires. Zola y accusait publiquement, et sans aucune preuve, tout une série d'officiers supérieurs ainsi que des experts assermentés, impliqués dans l'affaire Dreyfus. 

L’écrivain voulait ainsi être traduit devant les Assises, et provoquer un nouveau procès, public cette fois, et non plus à huis clos : Zola voulait faire face à un jury populaire. 

Bien que relativement hostile à la violence du ton d'Emile Zola dans son texte, trouvant qu'il allait trop loin, Clemenceau comprit aussi la valeur littéraire et politique du texte de l'écrivain, et se rangea à l'avis de le publier tel quel. 300 000 exemplaires environ furent imprimés, un tirage dix fois supérieur à la moyenne habituelle du quotidien. 

L'impact de ce texte fut considérable et dépassa largement les frontières de la France. La notoriété internationale d'Emile Zola donnait ainsi une nouvelle dimension à l'affaire Dreyfus.
Ce même 13 janvier, le colonel Georges Picquartétait arrêté et le sénateur Scheurer Kestner perdit son poste de vice-président du Sénat.(3)


Le procès d'Emile Zola

Rapidement diligenté, le procès Zola se déroula à partir du 7 février suivant. Plus de cent témoins, l’élite scientifique, artistique et littéraire française, étaient cités à témoigner et rendirent compte de leur indignation, des abus de droit et du déni de justice dont avait été victime le capitaine Dreyfus. Ils démontrèrent, au travers d’études documentées, l’identité d’écriture entre le fameux bordereau et celle d’Esterhazy.

Aussi, malgré les obstructions du Président de la Cour d’Assises, Albert Delegorgue, et sa complaisance vis-à-vis des militaires - il prononça plusieurs dizaines de fois une phrase qui resta dans les annales : « La question ne sera pas posée ! », - la vérité commençait à émerger. 

Surtout, devant les mensonges répétés des militaires appelés à témoigner, la vérité éclata au yeux de Clemenceau, qui doutait encore de l’innocence de Dreyfus. Désormais, il se consacrerait pleinement à la réhabilitation du capitaine Dreyfus.

Fernand Labori, ténor du barreau y assurait la défense de Zola, Albert Clemenceau, le propre frère de Georges, brillant pénaliste, celle du journal l’Auroreet de son gérant. 

L'avocat Clemenceau

Février 1898, au procès d'Emile Zola. A gauche, debout, Fernand Labori, avocat d'Emile Zola.
Devant lui, penché, Ernest Vaughan, patron de l'Aurore. Au centre, Georges Clemenceau
et son frère Albert sur le banc des avocats.

Dessin de Louis Sabattier pour l'Illustration du 12 février 1898

A titre exceptionnel, par autorisation du Président de la Cour d'assises, car Clemenceau n’était pas avocat de formation, le Tigre fut autorisé à plaider, sans robe. Dans un texte brillant (4) il attaqua le leitmotiv des militaires : res judicata pro veritate habetur. (5) 
Pendant sa plaidoirie du 23 février 1898, désignant le tableau où figurait un Christ en croix  accroché derrière la Cour (nous sommes sept ans avant le vote de la loi de séparation de l'église et de l'état), il s’écrie :
« Messieurs, quand l'heure des injures est passée, quand on a fini de nous outrager, il faut bien répondre, et alors que nous objecte-t-on ? La chose jugée... ? Regardez la, Messieurs, voyez ce Christ en croix. La voilà la chose jugée, on l’a mise au-dessus du juge pour qu’il ne fût pas troublé de cette vue. C’est à l'autre bout de la salle qu'il faudrait placer l’image afin qu'avant de rendre sa sentence, le juge eut devant les yeux l’exemple d'erreur judiciaire, que notre civilisation tient pour la honte de l'humanité. (Mouvements divers.) »
Aussi, par ce texte de plaidoirie, il cherchait surtout à rassembler et non plus à diviser, tentant de démontrer démontrant que militer pour la vérité en justice, cela n'équivalait pas à se dresser contre l'état et l'armée.

Peine perdue. Zola fut condamné : 1 an de prison et 3 000 francs d'amende. Mais la vérité avait été exposée à tous. Pour la première fois, le compte-rendu sténographique des débats avait été intégralement publié par la presse, quotidiennement, à l'issue de chaque audience. Chacun pouvait en prendre connaissance librement. 

Un mouvement se créa que Clemenceau nomma avec une formule qui fit le tour du monde : intellectuel. Il lui donnait son sens moderne : "l’homme d’une cause mais aussi celui qui influence l’opinion et qui permet d’espérer dans l’avenir". (6) 

Le traître intouchable

L’année 1898marqua le tournant de l’affaire Dreyfus avec le suicide du colonel Henry en août et la découverte des faux qu’il avait réalisés afin de charger Alfred Dreyfus contre l'évidence. La révision du procès était désormais inéluctable.


Après une enquête de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, à laquelle Clemenceau ne témoigna pas, le premier jugement fut cassé le 3 juin 1899, et l’affaire renvoyée devant un nouveau conseil de guerre à Rennes en août et septembre 1899.


Mais Clemenceau ne se rendit pas en Bretagne. Après sa cure annuelle à Carlsbad, il en revint atteint d’une bronchite qui le cloua au lit, agité de terribles quintes de toux ; il ne pourra pas suivre les débats ni témoigner, à l’instar de Zola, refusant aussi le voyage à Rennes. Inlassablement, Clemenceau écrivit chaque jour pour dénoncer « la dictature des faussaires », qui emprisonnait Picquart et laissait libre de ses mouvements et de ses paroles un Esterhazy, le "traître intouchable".

Comme toutes les personnalités qui prennent la défense du capitaine Dreyfus, Clemenceau
est outrageusement caricaturé. Comme ici, en hyène, dans Le Musée des Horreurs

série de dessins antidreyfusards à caractère outrancier

Malgré les conseils de combativité adressés à Labori, le Conseil de guerre complètement noyauté et sous la pression habile de l’état-major, condamna une nouvelle fois Alfred Dreyfus pour trahison. Mais cette fois, le verdict fut curieusement assorti de circonstances atténuantes et rendu à 5 voix contre 2. C'en était fait de l'unanimité militaire inaltérable. Mais Dreyfus était quand même condamné une deuxième fois.


Les dreyfusards étaient atterrés ; après beaucoup d’hésitations, les autorités décidèrent de gracier Alfred Dreyfus immédiatement après le procès. 

Jean Jaurès et Georges Clemenceauétaient contre cette mesure, car la grâce, c’était accepter le verdict de culpabilité. Lors d’un débat houleux au ministère du commerce, Clemenceau fut le dernier réticent ; Mathieu Dreyfus affirma que sans l’accord de Clemenceau, il n’accepterait pas  la grâce pour son frère. Et finalement, Clemenceau lança à son ami : « Si j’étais le frère, j’accepterais ». Mathieu était libéré. Son frère Alfred pouvait enfin sortir de prison après 5 années d'incarcération dans les pires conditions.

Deux camps opposés

Cette décision arrachée, couplée à la loi d’amnistie du 14 décembre 1900, « l’amnistie des scélérats », dixit Clemenceau, marqua la fin de l’unité dreyfusarde. Ils se rangeraient désormais en deux camps antagonistes. Clemenceau fit partie d’un camp ultra qui réunissait notamment Labori et Picquart, alors que l’autre plus modéré, rassembla Joseph Reinach, Pierre Waldeck Rousseau, Jean Jaurès et la famille Dreyfus.


C’est Jean Jaurès qui relança l’affaire en 1903 lors d’un discours magistral à la Chambre, s’étendant sur deux journées. 
Le gouvernement lança une nouvelle enquête de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, longue de deux ans, aboutissant à une décision de cassation sans renvoi, puisqu’en conclusion, le Président de la Cour affirma : 
« Attendu, en dernière analyse, que de l'accusation portée contre Dreyfus, rien ne reste debout ; et que l'annulation du jugement du Conseil de guerre ne laisse rien subsister qui puisse à sa charge être qualifié crime ou délit ; dès lors, par application du paragraphe final de l'article 445 aucun renvoi ne doit être prononcé. »
Georges Clemenceau participa moins à cette dernière phase de l'affaire Dreyfus, ce qui ne signifie pas qu'il s'en soit désintéressé. Simplement, il avait passé la main et se concentrait désormais sur sa vie politique et les élections à venir.

L’affaire Dreyfus a transcendé Georges Clemenceau. Alors que l'homme politique avait été très durement, mais injustement, écharpé lors de l’affaire de Panama, l’affaire Dreyfus lui avait donné une nouvelle jeunesse politique, qui le remit en selle. 


Et c’est ainsi que dès le 15 mars 1906, il était chargé du ministère de l’Intérieur, Premier flic de France. Puis en novembre il accéda au sommet du pouvoir sous la IIIe République : la Présidence du Conseil, pour trois ans. 
« - Et au ministère de la Guerre, qui nommerez-vous ? - Picquart ! Evidemment. »


Bibliographie indicative
  • Jean-Baptiste DUROSELLE, Clemenceau, Fayard, 1988
  • Michel WINOCK, Clemenceau, Librairie Académique Perrin, coll. Tempus, 2011
  • Christophe SOULARD, Clemenceau, au fil des jours, Editions Sud-Ouest, 2013
  • Sylvie BRODZIAK et Jean-Noël JEANNENEY, Georges Clemenceau - Correspondance - 1858-1929, collection Bouquins, Robert Laffont et BNF, 2008.
  • Vincent DUCLERT, Biographie d'Alfred Dreyfus, L'honneur d'un patriote, Fayard, 2006
  • Mathieu BIDAUX, Ernest Vaughan, le patron rouge, Editions l'Echo des Vagues, 2012
Sur Internet
L'affaire Dreyfus en 665 articles par Georges Clemenceau (Quatre ouvrages disponibles sur Gallica)
  1. L'iniquitédu 1er novembre 1897 au 20 juillet 1898 : 162 articles, Stock, 1899
  2. Vers la Réparationdu 21 juillet 1898 au 11 décembre 1898 : 135 articles, Stock, 1899
  3. Contre la Justice, du 12 décembre 1898 au 31 mars 1899 : 102 articles, Stock, 1900
  4. Des Juges, du 1 avril au 11 mai 1899 : 40 articles, Stock, 1901
  5. Justice Militairedu 12 mai 1899 au 22 août 1899 : 83 articles, Stock, 1901
  6. Injustice Militaire, du 23 août 1899 au 16 décembre 1899 : 78 articles, Stock, 1902
  7. La Hontedu 24 septembre 1899 au 3 novembre 1901 : 65 articles, Stock, 1903
    Les volume 1 à 4 ont été réédités sous la direction de Michel DROUIN chez l'éditeur Mémoire du Livre en 2001, 2003, 2007 et 2013. 

    Notes
    (1) V. notamment Henri MITTERAND, ZolaTome III L'Honneur – 1893-1902, Fayard, 2002, p. 375 et s.
    (2) E. VAUGHAN, Souvenirs sans regrets, Juven, 1902, p. 71 et s.
    (3) V. A. PAGES, Une journée dans l'affaire Dreyfus : 13 janvier 1898, Perrin, coll. « Une journée dans l'histoire », 1998
    (4) Le procès Zola devant la Cour d'assise de la Seine, Tome II, p. 404
    (5) La chose jugée est tenue pour vérité. L'état-major détournait ce principe de droit afin que la sentence de condamnation contre Alfred Dreyfus ne soit jamais remise en cause.
    (6) Clemenceau utilise le vocable d'intellectuel en italiques dans son éditorial A la dérive, paru dans l'Aurore du 23 janvier 1898, à propos des pétitionnaires en faveur d'Emile Zola.

    Pierre Stutin
    1er décembre 2013




    Centenaires

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    19 janvier 1914 : 

    la mort de Georges Picquart 

    Le général de division Georges Picquart, photographié
    alors qu'il était ministre de la guerre de 1906 à 1909.


    Georges Picquart est mort il y a cent ans. Georges Picquart ? Il faut le reconnaître, l'un des personnages historiques majeur de l'affaire Dreyfus est tombé dans l'oubli. Hormis deux téléfilms diffusés l’un il y a plus de 35 ans (Zola de Stellio Lorenzi) et l’AffaireDreyfus (Yves Boisset) en deux parties diffusé il y a vingt ans, Picquart n’a plus jamais été mis en scène.(1) Pourtant, cet officier supérieur, brillant, érudit, intelligent, fut célébré de manière exceptionnelle jusqu'à sa mort. Héros de pas de moins de cinq biographies publiées de son vivant, il fut l’objet d’un culte de par son rôle central et rebelle dans la réhabilitation du capitaine Dreyfus. Le lendemain de la mort de Picquart, on apprend la disparition de Francis de Pressensé.

    Mélomane, ami de Gustave Mahler, chez qui il apprend sa nomination au poste de ministre de la Guerre par Clemenceau en 1906, fin lettré, polyglotte et amoureux des langues, il profite de son incarcération à la Santé pour apprendre le russe afin de lire Tolstoï dans le texte.

    Militaire moderne, il comprend l’importance du terrain dans la guerre moderne qui s’annonce, et professe la topographie à l’Ecole supérieure de guerre. Plus tard, il entrevoit le changement occasionné par la force mécanique puisqu'il engage les premiers budgets de motorisation des armées en 1907 et étudie de près les progrès de l’aviation naissante.



    Le général Picquart en août 1910, passionné d'aviation.

    Le lieutenant-colonel Marie-Georges Picquart avait été chassé de l’armée en 1898 à cause de son engagement en faveur du capitaine Dreyfus. Objet de multiples poursuites, incarcéré en juillet 1898, il n'est libéré que onze onze mois plus tard. À l’issue de la réhabilitation d’Alfred Dreyfus le 13 juillet 1906, il est réintégré dans les cadres au grade de général de brigade, sans passer par le rang de colonel, fait rarissime dans l’armée française. En septembre, il était promu au rang de général de division, puis enfin le 25 octobre 1906, il était appelé dans le gouvernement que Georges Clemenceau venait de constituer. Il allait diriger le ministère de la Guerre. Il y resta trois ans, une performance sous la Troisième République et ses nombreuses chutes de cabinets.

    Lorsque le gouvernement Clemenceau tombe le 23 juillet 1909, Picquart entreprit des voyages à l’étranger pendant six mois, visitant notamment la Grèce. Puis en janvier 1910, il fut nommé à la tête du 2e corps d’armée dont le commandement était basé à Amiens. Il y remplaça le général Joffre, qui venait d'être nommé généralissime.

    Le général-ministre Picquart à la revue du 14 juillet 1908, 
    photographié à cheval. En 1906, au même défilé, son cheval se cabre 
    et le fait chuter, heureusement sans conséquences. Hilarité de la presse nationaliste.
    Photo Gallica, Bibliothèque nationale de France.

    CHUTE DE CHEVAL

    C'est dans le cadre de ses missions de commandant de corps d'armée à Amiens, que le mercredi 14 janvier 1914, à l'occasion de sa promenade matinale quotidienne, le général Picquart chute lourdement, dans les circonstances que décrit le rapport rédigé à destination du ministre de la guerre (2) :
    Le général Picquart était sorti à cheval à 7 h 30 comme tous les jours, seul avec son porte-fanion. Il montait le cheval Voltigeur, cheval qui fait de nombreuses fautes et qui, en plus, rue souvent. Il faisait très froid (-5° à -7°) le sol était fermement gelé depuis plusieurs jours. Dès le début de la promenade, le cheval avait fait quelques sauts de mouton. Sur un chemin de terre qui relie Dury à Saint-Fuscien, à environ 1 km au NO de Saint-Fuscien, le général était au grand trot. Le cheval fit une faute qui déplaça le cavalier ; à la faute succéda immédiatement une ruade : le général tomba sur la tête, en avant de son cheval et lâchant les rênes. Le général se releva aussitôt, perdant beaucoup de sang mais très calme. Comme son porte-fanion (le maréchal des logis Roussel) se portait à son secours, il lui donna l'ordre de ne pas s'occuper de lui et de rattraper le cheval. Il refusa net de s'abriter et de se reposer dans une maison proche du lieu de l'accident, remonta à cheval et rentra à Amiens en alternant le pas et le trot.Quand il rentre à son Q.G., je le vis descendre de cheval absolument comme d'habitude, donner un morceau de sucre à son cheval comme d'habitude, puis se diriger comme tous les jours vers le perron de gauche du quartier général.
    Couvert de sang, le général refuse les soins. Malgré les recommandations du corps médical militaire, Picquart passe le reste de la semaine à son travail, malgré les souffrances qu'il endure. Un court compte-rendu est même rédigé sur ses propres instances, et distribué aux journaux afin de couper court à toute rumeur. Il est ainsi conçu :
    Amiens, 14 janvier . - Le général Picquart, commandant le 2Corps d'armée, ancien ministre de la guerre, a fait une chute de cheval et s'est blessé légèrement. Le général garde la chambre ; son état n'est pas grave.
    Dans la nuit du samedi 17 au dimanche 18, son état empire. Les médecins appellent des confrères civils de la ville d'Amiens et de Lille. Le général présente les signes d'un œdème de la face, qui lui provoque une insuffisance respiratoire. L'état du malade paraît désespéré. Il expire vers cinq heures du matin le lundi 19 janvier 1914.


    Les obsèques de Georges Picquart attirent l'ensemble des autorités civiles et militaires.
    Ici au centre, le chef d'état-major de l'armée, le général Joffre. A l'extrémité gauche, le général Galienni.

    Photo Gallica, Bibliothèque nationale de France.


    OBSÈQUES À AMIENS...

    Dès la nouvelle connue, famille et amis se précipitent dans la capitale picarde. Son cousin Edmond Gast, ses neveux, dont Jules, Jean et Paul Gay, mais aussi Georges Clemenceau accompagné de Paul Painlevé. On vient avant tout aux nouvelles car on craint un assassinat du fait du rôle premier de l'officier dans l'affaire Dreyfus. Mais les autorités militaires sont formelles : la mort du commandant du 2e corps d'armée est due à une chute de cheval, un simple accident. Le gouvernement respire, d'autant qu'un congrès du parti socialiste est prévu dans la ville d'Amiens. On avait craint un attentat anarchiste.
    Les volontés de Georges Picquart, déposées chez un notaire en 1912, étaient formelles : pas d'office religieux, pas de cérémonie, pas de discours. 
    C'est donc dans cet esprit que les obsèques se déroulent à Amiens, le mercredi 21 janvier, par un froid glaçant. La cérémonie est courte, devant une affluence de plusieurs milliers de personnes, venues rendre hommage à l'officier général, ancien ministre, et grand défenseur du capitaine Dreyfus. 


    Le catafalque construit à l'entrée du cimetière du Père Lachaise à Paris.

    ... SUR FOND DE POLÉMIQUE

    Les obsèques ont lieu en présence des corps constitués, avec le président du Conseil des ministres, Gaston Doumergue et le ministre de la Guerre, Joseph Noulens, arrivés par train spécial. Les autorités militaires viennent aussi en force puisqu'on note la présence de futurs grands acteurs du conflit mondial qui s'annonce, comme les généraux Joffre, Galienni, Percin ou encore Auger.
    Cependant, un événement se produit le jour même des obsèques à Amiens : la Chambre des députés, dans un élan "patriote et républicain", vote des obsèques parisiennes au frais de l'état, en faveur du général Picquart. Les députés n'avaient pas été mis au courant des dernières volontés du défunt. 
    Surprise de la famille, et début de polémique dans la presse, où dans un premier temps, on peut lire que les neveux de Picquart refusent poliment la décision de la Chambre. Mais on parvient à un compromis entre la famille et les autorités : l'hommage national aura bien lieu, Picquart a tout de même été ministre.

    Acte de décès du général Picquart

    OBSÈQUES A PARIS


    Le samedi 24 janvier suivant, les obsèques du Général Picquart sont célébrées à Paris. La foule est jugée immense par la presse qui observe cette fois la présence du Président de la République, Raymond Poincaré. Intime d'Edmond Gast, cousin germain du général Picquart, il reste un moment avec lui.
    Le corps est incinéré au Père Lachaise puis ses cendres sont envoyées à Strasbourg en 1919, où la municipalité entretient la tombe à ses frais depuis 1921.
    Ainsi disparaît l'un des héros de l'affaire Dreyfus, privant l'armée française d'un officier général de haute valeur six mois avant le déclenchement du premier conflit mondial.
    L'ensemble des dreyfusards encore vivants est présent aux funérailles. On remarque les frères Dreyfus, Alfred et Matthieu (déjà présents à Amiens), Georges, Paul et Albert Clemenceau, Fernand Labori, Louis Leblois, Paul Appel, Jean Jaurès.





    FRANCIS DE PRESSENSÉ


    Triste semaine pour les défenseurs du capitaine Dreyfus. À peine avait-on appris la mort du général Picquart, que le lendemain, 20 janvier 1914, le décès de Francis de Pressensé était rendu public. 

    Ce publiciste, diplomate de profession, avait embrassé la carrière de journaliste, notamment rédacteur au service étranger du quotidien Le Temps.
    Dreyfusard de la première heure, Francis de Pressensé fut l'un des fondateurs avec Ludovic Trarieux, de la Ligue des Droits de l'Homme, dont il occupa la vice-présidence. 
    Travailleur infatigable à la réhabilitation du capitaine Dreyfus, il multiplia les initiatives afin que le procès de Rennes soit révisé, et Alfred Dreyfus réhabilité.
    Élu député du Rhône en 1902, puis réélu en 1906, il était proche des milieux socialiste et participa activement à la création de la Section Française de l'Internationale Ouvrière (S.F.I.O.)  avec Jaurès. Il était aussi à l'origine de la loi de séparation des églises et de l'état, toujours avec Jaurès..
    Emporté par un cancer, Pressensé reçut un hommage considérable. L'Humanité lui consacra la totalité de sa Une et des articles importants les jours suivants. Les funérailles donnèrent lieu à un immense rassemblement populaire pendant lequel Jean Jaurès livra un discours remarqué.



    Pierre Stutin
    13 janvier 2014

    (1) Nous aurons l'occasion de parler prochainement du roman de Rober Harris, An Officer and a Spy, qui vient de paraître outre manche. Le héros de ce roman est Georges Picquart, dont l'auteur en fait le narrateur de l'affaire Dreyfus. Une adaptation cinématographique de ce roman est attendue pour cette année, avec Roman Polanski à la réalisation.
    (2) Rapport du 29 janvier 1914 par le capitaine SEGET, SHAT, Dossier Picquart.





    Presse

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    Les Etats-Unis n’oublient pas Picquart 

    le «lanceur d'alertes» de l'affaire Dreyfus


    Comme prévu, le centenaire de la mort de Georges Picquart est passé totalement inaperçu dans la presse française. Ce grand personnage de l’affaire Dreyfus est bien oublié. Oublié par tout le monde ? Sans doute pas puisque la presse anglo-saxonne, encore elle, a consacré quelques bonnes colonnes au héros. Et notamment au travers d’un article remarqué du journaliste et romancier Robert Harris, dans le New York Times, du 18 janvier dernier. Georges Picquart qui, d’après son auteur, le mérite bien.


    L'article du New York Times
    du 20 janvier 1914
    À une semaine de la parution de son roman sur l’affaire Dreyfus outre-Atlantique, Robert Harris signe un article consistant et informé sur Georges Picquart, commémorant le centenaire de sa disparition. * Il y a un siècle déjà, le New-York Times annonçait la mort de Georges Picquart dans ses colonnes (voir ci-contre). Cent ans plus tard, Harris expose le personnage central de son roman en le présentant comme un lanceur d’alertes.

    Alors, Georges Picquart fut-il lanceur d’alertes ? C’est une bonne question. M. Harris répond résolument par l’affirmative et lui attribue même le titre de sa chronique. Nous aurons pour notre part un avis un peu plus nuancé.

    Incontestablement, à la fin de l’été 1896, Picquart a effectivement tenté d’alerter sa hiérarchie de l’ensemble de ses découvertes concernant les affaires Dreyfus et Esterhazy, qui dans son esprit, ne faisaient qu’une. Contournant le général Arthur Gonse, son supérieur direct, en qui il voyait un homme d’une intelligence médiocre, capable de s’affoler pour une broutille, Picquart s’empresse de rencontrer le chef d’état-major de l’armée, le général de Boisdeffre. Celui-ci, ébranlé par ces découvertes fâcheuses, qui démontrent l’erreur de personne aboutissant à la condamnation du capitaine Dreyfus en décembre 1894, renvoie finalement Picquart à Gonse. Celui-ci décide de séparer les deux affaires pour, en fait, étouffer dans l’œuf un éventuel retour de l’affaire Dreyfus sur le devant de la scène. 

    Devant cette impasse, Picquart outrepasse les ordres de ses supérieurs. Il va s’adresser directement au ministre de la guerre, le général Jean-Baptiste Billot, qui a sa confiance et auquel il a un accès relativement aisé. Mais Billot refuse d’aller trop loin ; en définitive, manipulé par l’état-major, il « lâche » Picquart fin octobre 1896. L'officier est limogé : il perd son poste de chef des services de renseignements, puis est renvoyé dans la troupe en Tunisie.
    L'avocat Louis Leblois, ami d'enfance et confident
    de Picquart relance l'affaire Dreyfus par ses révélations
    au sénateur Auguste Scheurer-Kestner

    Ainsi on peut affirmer qu'à coup sûr, Georges Picquart s’est démené pour convaincre ses chefs, à la fois de l’erreur commise deux ans plus tôt pour les amener à envisager une révision du procès Dreyfus, et à entamer des poursuites contre le commandant Walsin Esterhazy. En ce sens, Georges Picquart est bien un lanceur d’alertes, réprimé par sa hiérarchie, mais alertes d’une portée assez limitée toutefois, restreintes au seul sommet de la hiérarchie militaire.

    Puis c’est le silence pendant six mois avant qu’on ne reparle de l’affaire Dreyfus à l’été 1897. Qui relance l’affaire Dreyfus ? Un personnage inconnu jusqu’ici : Louis Leblois, avocat, publiciste, ami d’enfance de Picquart. 
    En fait, Picquart comprend qu’il est possible que l’état-major cherche à le faire éliminer physiquement, et avec cette mort, enterrer définitivement une affaire de plus en plus gênante. Picquart décide donc de se confier, et il se confie au seul homme en qui il a toute confiance : Louis Leblois. En effet, Picquart ne veut pas emporter ce secret dans la tombe. 

    L’historiographie affirme que Picquart a donné à son ami un mandat afin d’approcher des personnalités pour relancer l’affaire. Il est plus probable que Picquart se soit confié à Leblois en cas de malheur. Picquart avait d’ailleurs rédigé un testament destiné à être envoyé au Président de la République s’il venait à mourir. Il l’a confié à Louis Leblois. Pour Picquart ces révélations ne devaient devenir publiques qu'après sa mort.

    Le vice-président du Sénat, Auguste
    Scheurer Kestner, relance l'affaire Dreyfus.
    Or Leblois n’a probablement pas pu, ou pas su, ou encore pas voulu garder le secret. Proche du vice-président du Sénat, Auguste Scheurer-Kestner, Leblois lui révèle tout, mais en lui promettant de garder le secret à propos de l’identité de sa source. Il ne fallait révéler le nom de Picquart sous aucun prétexte.

    Ainsi, dans le cadre de la relance de l’affaire Dreyfus à l’automne 1897, le lanceur d’alertes, c’est plutôt Louis Leblois, Picquart n’ayant qu’un rôle de source passive à la Gorge profonde (Mark Felt) de l’affaire du Watergate. Sans l'action de l'avocat, il est quasiment certain que l'affaire Dreyfus n'aurait pas connu une nouvelle existence à ce moment-là.

    Une première observation : Picquart est resté militaire jusqu’au bout des ongles. Il aurait sans doute largement préféré traiter ce sujet « en interne », plutôt que de le voir jeté en pâture à la presse qu’il déteste. Il pratique donc la rétention d’informations, en tout cas au début. Ses réticences sont notamment bien marquées pendant le procès Zola, où à plusieurs reprises, il refuse de répondre aux questions pertinentes de Me Fernand Labori pour raison de protection de la Défense nationale.

    Autre observation, une des causes de son limogeage est une accusation à peine voilée par sa hiérarchie, d’avoir été à l’origine de la publication de deux articles dans le journal l'Éclair en septembre 1896, révélant l’existence de pièces secrètes accusatrices transmises au Conseil de guerre sans que la défense y ait eu accès, plus la publication d’une photo du bordereau dans le journal le Matin, édition du 10 novembre suivant. Précisons ici qu'aucune de ces deux accusations n'était pertinente. Si on ignore toujours qui est la l'origine des articles de l’Éclair, on sait qu'un des experts graphologues, Teyssonnières,  a vendu la photo du bordereau au quotidien le Matin.

    Il nous paraît donc peu vraisemblable que Georges Picquart, humilié par ces accusations, ait été donner raison à sa hiérarchie, qui n’attendait que cela pour le briser encore plus. Les révélations de l’été 1897 paraissent bien être le fait du seul Leblois, très probablement sans l’assentiment de Picquart. 

    Du reste, Picquart se fait tirer l’oreille, car le camp dreyfusard naissant (Scheurer-Kestner, Clemenceau, Pressensé, etc.) réclame à la fois le droit de le citer, et son engagement officiel dans l’Affaire. Voir à ce sujet les premiers articles de Georges Clemenceau dans l’Aurore en novembre 1897, tous sur ce thème.
    Ainsi, bien qu’ayant incontestablement refusé d’étouffer l’affaire ainsi que sa hiérarchie l’y incitait, c’est avec d’apparentes réticences que Georges Picquart entre dans cette deuxième affaire Dreyfus.
    Avec Emile Zola, Georges Picquart est la figure
    dreyfusarde la plus caricaturée par la presse antisémite.

    Evidemment, Picquart comprend vite que les enquêtes diligentées par ses supérieurs contre Esterhazy sont en fait dirigées contre lui-même. Et qu’il devient à partir de cet automne 1897 l’ennemi n°1 de l’état-major. 
    La prise de conscience est totale lors du Conseil de guerre contre Esterhazy en janvier 1898, où il fait figure d’accusé en lieu et place d’Esterhazy, puis lors du procès Zola le mois suivant. 

    C’est donc résolu dans l’action, avec grand courage, car il aurait parfaitement pu reculer, que Georges Picquart s’engage officiellement en faveur d’Alfred Dreyfus à partir de l’été 1898. Notamment, il adresse deux longues lettres au Garde des sceaux en septembre résumant son intervention et une partie des informations en sa possession, dont de nombreux détails concernant le dossier secret qu’il a découvert en 1896. 

    On connaît ensuite ses dépositions : d’abord lors de la première enquête de la Cour de cassation à l’hiver 1899-1899, puis au procès de Rennes en août et septembre 1899, puis enfin lors de la deuxième enquête de la Cour de cassation de 1903 à 1906.

    Reste que Georges Picquart n’a pas tout dit. Son engagement est resté limité au strict nécessaire et minimum en matière d’informations. On l’a vu, il était resté officier supérieur de l’état-major de l’armée dans l’esprit. Il en dit cependant suffisamment pour affranchir Alfred Dreyfus ; mais pas assez pour l’historien qui reste sur sa faim sur de nombreux points.

    Les dissensions dans le camp dreyfusard, et notamment l’antagonisme tardif (à partir de 1901) entre Picquart et Joseph Reinach, l’auteur d’une grande Histoire de l’affaire Dreyfus en six volumes, ont laissé de nombreux points cruciaux dans le flou. Par exemple, Picquart s’est braqué dans sa description du dossier secret, en maintenant coûte que coûte que la version qu’il avait découverte en 1896 était exactement celle qu’il avait été présentée aux juges de 1894, en contradiction avec la version de Joseph Reinach. Et sans vouloir en discuter jamais alors qu’il y aurait eu matière à débat. 

    Georges Picquart est incontestablement une grande figure de l’affaire Dreyfus, placé au centre du combat pour la réhabilitation du capitaine injustement condamné. Son engagement officieux est décisif déjà par le fait qu’il refuse d’étouffer ses découvertes, ce qui est déjà beaucoup. Mais en même temps, il apparaît comme une figure contrastée, avec un engagement officiel à la fois habile et plein de silences, de réticences et de restrictions, qui paraît ne survenir qu’en réaction à la persécution de ses supérieurs.

    Alors en fin de compte, Georges Picquart, lanceur d'alertes certainement, mais héros malgré lui ?


    * Avec cependant une petite erreur de date, puisque le décès est survenu le 19 janvier 1914 et non du 18.



    Pierre Stutin avec Pierre Gervais, 22 janvier 2013







    Numérisation

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    L'INSTRUCTION FABRE


    Dans le prolongement de l'hommage rendu au colonel Picquart à l'occasion du centenaire de sa disparition, nous ajoutons un nouveau volume numérisé à notre collection disponible dans la section ressources de ce site Internet. Outre le condamné de l'île du diable lui-même, Georges Picquart fut la personnalité la plus persécutée par les pouvoirs publics au sein de l'affaire Dreyfus. Peut-être plus encore que le capitaine Dreyfus, le lieutenant colonel Picquart incarna l'ennemi honni de l'état-major, le véritable renégat.  Ce document permet de mesurer pleinement le degré d'acharnement dans la persécution auquel le colonel Picquart a été l'objet pendant plus de deux ans.
    Georges Picquart de trois quart, lors d'un de ses nombreux témoignages en justice. Depuis le 25 février 1898
    il est mis en réforme et se présente donc en civil aux audiences. Dessin de Sabatier pour l'Illustration
    Pour les antidreyfusards, et en premier lieu desquels se trouvaient les militaires conspirateurs de l'État-major de l'armée, Georges Picquart représenta l'homme à abattre coûte que coûte. Détenteur de tous les secrets militaires de la France entre juin 1895 et novembre 1896, fin connaisseur des rouages de l'affaire Dreyfus, personnage hautement crédible du fait de son rang et de son passé sans taches, il fallait absolument réduire cet officier au silence. Par tous les moyens, il convenait d'abaisser au minimum la valeur de son témoignage. Car à lui seul, Picquart était en mesure d'anéantir en un instant l'échafaudage laborieux des explications militaires embarrassées, quant aux affaires Dreyfus et Esterhazy. Le danger était trop grand de voir la vérité éclater avec sa conséquence la plus immédiate : la mise en cause des hauts personnages de la hiérarchie militaire.

    Aussi, en dehors des procédures dirigées contre Alfred Dreyfus, Georges Picquart a été littéralement bombardé de procès, de manière à ce que l'un ou l'autre, voire plusieurs d'entre eux aboutissent à une condamnation. Et évidemment, le témoignage d'un condamné ne représenterait plus qu'un intérêt secondaire, voire minime pour la justice et l'opinion publique. Ce témoignage devenait douteux là où il n'existait pourtant aucun doute. Mais quelle valeur accorder donc à la parole d'un repris de justice ? Le tour était donc joué.

    Cliquer sur l'image pour accéder
    au texte numérisé.
    Les poursuites contre Georges Picquart, et son ami d'enfance Louis Leblois, sont beaucoup moins connues, que celles entreprises contre Zola, alors que l'ex-chef des renseignements militaires doit avoir été champion toutes catégories du nombre de procédures à son encontre. On peut en juger d'après le décompte de Leblois (1), en août 1898, qui dresse la liste de déjà huit actions différentes depuis mai 1897 jusqu'en juillet 1898, alors qu'une neuvième devait s'ajouter peu de temps après :
    1. Enquête du commandant Henry, dont il donne les résultats dans sa lettre en date du 31 mai 1897,(2
    2. Double enquête du général de Pellieux, (Affaire Esterhazy, novembre 1897)
    3. Enquête du commandant Ravary, (Affaire Esterhazy, décembre 1897)
    4. Débats du Conseil de guerre, (Affaire Esterhazy, 10 et 11 janvier 1898)
    5. Débats du Conseil d’enquête, (Affaire Picquart, février 1898)
    6. Cour d’assises, (Affaire Zola, février 1898)
    7. Conseil de l’ordre des avocats. (6 mois de suspension pour Leblois).
    8. Instruction Fabre, décrite dans le présent document.
    9. Conseil d'enquête Tavernier pour faux en écritures et falsification du petit bleu. (20 septembre 1898)
    Comme l'a spirituellement fait remarquer Jules Cornély : « seule la juridiction du Conseil des prises maritimes paraît n'avoir pas poursuivi Georges Picquart ! »

    DE L'AFFAIRE ESTERHAZY 
    A L'AFFAIRE PICQUART

    L'instruction Fabre survient à l'été 1898. Il est utile de rappeler que le début de cette même année est marqué par le jugement et la condamnation d'Émile Zola en février, puis confirmée en juin, en répression de la publication de son pamphlet J'Accuse...! dans l'Aurore du 13 janvier. 
    Un an plus tôt, Georges Picquart s'était confié à son ami Louis Leblois. Il avait remis son testament à son ami avocat, ainsi qu'un mandat pour révéler à qui de droit le nom du véritable coupable de l'affaire Dreyfus : Ferdinand Walsin Esterhazy. Picquart ne voulait pas emporter son secret dans la tombe, au moment où il se sentait menacé dans son intégrité physique. Ce sont ces confidences qui allaient former la base des poursuites à venir.
    Godefroy Cavaignac (1853-1905) occupe 
    les responsabilités de ministre de la 
    Guerre en succédant au général 
    Jean-Baptiste Billot. Il se révélera un 
    antidreyfusard fanatique
    Le 7 juillet 1898, le nouveau ministre de la guerre, Godefroy Cavaignac, entend en finir avec l'affaire Dreyfus. A cet effet, il décide de faire un grand discours à la Chambre des députés et d'y révéler le texte de trois des pièces du dossier secret (3), accusant Alfred Dreyfus du crime de trahison.
    Dans un "élan patriotique", la Chambre vote l'affichage de ce texte dans les 36 000 communes de France.

    Le surlendemain, 9 juillet 1898, Georges Picquart alors déjà sous le coup de plusieurs plaintes en justice, décide d'adresser une lettre au Président du conseil, Henri Brisson, dans laquelle il conteste les preuves lues par le ministre :

     « Je suis en état d’établir, devant toute juridiction compétente, que les deux pièces qui portent la date de 1894 ne sauraient s’appliquer à Dreyfus, et que celle qui porte la date de 1896 a tous les caractères d’un faux. » (4)
    LES POURSUITES

    Devant cet assaut intolérable pour les antidreyfusards, Cavaignac décide d'engager des poursuites supplémentaires, au civil, contre Picquart et Leblois. La procédure est engagée le 12 juillet 1898, sur la base d'un dossier qui avait déjà servi dans le cadre de la procédure militaire, qui avait abouti à la mise en réforme du lieutenant-colonel Picquart en février. Les faits reprochés sont les suivants :

    En principal : 4 chefs d'accusation
    • avoir transmis un dossier Boulot à Leblois (5)
    • avoir divulgué un dossier secret des pigeons voyageurs à Leblois.(6). 
    • avoir divulgué la pièce Ce canaille de D et le dossier secret à Leblois. 
    • avoir divulgué le dossier de trahison Esterhazy
    Louis Leblois,  co-accusé dans l'affaire Picquart
    Picquart est donc accusé du délit de communication ou de divulgation d’écrits ou documents intéressant la défense du territoire ou la sûreté extérieure de I'Etat, qui lui étaient confiées à raison de ses fonctions.(art. 1er, § 1 et art. 2 de la loi du 18 avril 1886)


    Accessoirement :
    • le commandant Lauth accuse Picquart d’avoir falsifié le Petit bleu. Cette accusation sera reprise dans une procédure ultérieure.
    • Gribelin insinue que les divulgations n’avaient d’autre but que de laisser entrer Leblois à la Section de statistiques afin de lui confier des secrets d'état. (7).
    • le général de Pellieux accuse Picquart d’avoir menti sur la date d’arrivée du petit bleu : en mai au lieu de mars 1896. (8
    • d’avoir été en contact avec Scheurer-Kestner avant octobre 1897. 
    • l'archiviste Félix Gribelin accuse aussi Picquart d’avoir révélé une filature d’un certain Dubois effectuée en 1894 et d’avoir transmis à Mathieu Dreyfus une lettre d’Esterhazy à Maurice Weil. (9)

    Il faut noter que l'ensemble de ces griefs avaient déjà été portés à l'encontre de Georges Picquart, dès le Conseil d'enquête visant le commandant Esterhazy en novembre et décembre 1897. Cette procédure contrevenait donc majoritairement à la règle de droit selon laquelle nul ne peut être poursuivi et condamné deux fois pour les même faits (non bis idem). Louis Leblois est quant à lui, accusé de complicité par aide et assistance.


    L'objectif du pouvoir militaire, dans le cadre de ces poursuites, est donc, outre obtenir des condamnations, démontrer que Picquart, loin d'être le militaire parfait, peut-être bientôt chef d'état-major de l'armée, se révélait en définitive incompétent, agissant avec légèreté, confiant des secrets d'état à des personnes étrangères à son service. Bref, un officier indigne de la confiance que ses chefs avaient mise en lui.

    L'INSTRUCTION

    L'instruction du juge Albert Fabre est menée tambour battant. Cette information débute en effet le 13 juillet et se clôt par un renvoi en correctionnelle le 25 août 1898. A peine la plainte est-elle déposée, que le juge instruit, et lance déjà des commissions rogatoires à fin de perquisition. La perquisition au domicile de Georges Picquart se fait en son absence deux jours de suite. 

    Les témoins de l'accusation se sont clairement concertés. Une stratégie d'accusation a été mise au point de sorte que chaque témoin de l'accusation paraît tenir un rôle avec une accusation précise à développer. L'objectif est de faire nombre devant l'absence de preuves matérielles à opposer aux dénégations de Georges Picquart et Louis Leblois. Une méthode éprouvée depuis le procès Zola, qui sera reprise pour le procès de Rennes un an plus tard.

    La défense appelle assez peu de témoins mais ils sont décisifs. Alors que Georges Picquart est accusé d'avoir transmis le dossier secret de l'affaire Dreyfus à Leblois, Picquart parvient à établir que ce dossier lui a été remis en août par Gribelin, et qu'il lui a été retiré fin octobre par le général Gonse. 

    Leblois, peut prouver qu'il était absent de Paris dans cette intervalle (de juillet à début novembre). L'accusation principale est donc nulle et non avenue, ce qui n'empêchera pas le pouvoir militaire de s'obstiner et de continuer à accuser Picquart d'avoir divulgué des secrets d'état à Louis Leblois (cf. enquête de la Cour de cassation et Procès de Rennes).
    C'est donc pour le 21 septembre qu'est renvoyée l'affaire en correctionnelle.



    LE COUP DE THÉÂTRE

    La lettre de Panizzardi à Schwhartzkoppen qui 
    accuse Alfred Dreyfus explicitement est un

    faux. Le ministre de la Guerre décide de rendre

    l'acte public, après avoir gardé le secret 

    pendant près de trois semaines. 
    Dossier secret, pièce n°355
    Juste après son discours du 7 juillet, et devant les nombreuse réactions de scepticisme dans la presse et l'opposition (dont Jaurès et Clemenceau), le ministre Cavaignac entreprend une vérification systématique du dossier secret de l'affaire Dreyfus qui compte à ce moment quelques 350 documents. Il venait d'être entièrement repris au mois de mai sous la direction du général Gonse. L'opération est confiée au capitaine Louis Cuignet.
    D'après cet officier(10), c'est le samedi 13 août au soir qu'il examine la lettre du colonel Panizzardi à Schwartzkoppen à la lampe, et qu'il s’aperçoit d'une différence de teinte du lignage du papier entre plusieurs parties de la lettre. Les couleurs étant distinctes, la lettre est un assemblage de diverses origines. Le ministre est prévenu dès le lendemain 14 août. Mais Cavaignac décide de garder le silence. L'information est cachée pendant près de trois semaines si bien que même le Président du Conseil, Henri Brisson n'en est pas informé(11).

    Notons aussi que nous sommes en pleine instruction menée par le juge Fabre. Et ce dernier n'émettra son ordonnance de renvoi que le 25 août suivant. Les explications embarrassées du ministre ne permettront pas d'éliminer le danger d'interruption de cette instruction comme l'une des causes de cette grave rétention d'information.

    Du reste, le ministre a prétendu que Henry étant en congés, il valait mieux continuer à vérifier le contenu du faux... pendant trois semaines.
    Finalement, on apprend le passage à Paris du commandant Henry pour le 30 août. Ce dernier est immédiatement convoqué. Le ministre l'interroge personnellement et en aurait obtenu des aveux, consignés ... trois jours plus tard par le chef de cabinet du ministre, le général Gauderique Roget. Entre-temps, le colonel Henry s'était donné la mort en se tailladant les carotides le lendemain de ses aveux.


    NOUVEAU CHEF D'ACCUSATION

    Henry faussaire, la seule pièce accusant Alfred Dreyfus en toutes lettres étant forgée, les antidreyfusards ne désarment pas pour autant. Prenant prétexte de l'arrivée de la lettre deux ans après le procès initial, ce qui, d'après eux, ne peut pas constituer un fait nouveau relatif au procès de 1894, l'état-major décide de contre-attaquer. Laissons la parole à Joseph Reinach qui dénonça la réplique dès qu'il l'apprît (12) : 
    J'ignore qui a inspiré cette manœuvre infâme, quels sont les scélérats qui ont trompé la bonne foi du ministre de la guerre. Je sais seulement qu'ils seront connus un jour, bientôt, et que, ce jour-là, il n'y aura pas de pilori assez haut, de bagne assez noir pour ces misérables que l'Armée vomira avec dégoût. 
    Joseph Reinach, figure dreyfusarde.
    J'ai dit déjà quel était le crime de Picquart. Il a découvert dans les rangs de l'armée un traître à gages. Il a démontré l'innocence d'un martyr. Il a offert de prouver au gouvernement de la République qu'il avait été trompé par une bande de faussaires. Pour avoir été ainsi l'homme de la vérité « le héros de la Justice et du Droit» il a été envoyé en exil, dans une mission meurtrière, traîné dans toutes les boues par une presse immonde à la solde de quelques bandits galonnés, chassé de l'armée, jeté en prison, accusé d'espionnage, lui, le soldat sans reproche, par un Cavaignac ! 
    Or, comme tous ces crimes ne suffisaient pas à arrêter la vérité en marche, comme, tout au contraire, plus haut s'élevait la montagne des forfaits accumulés, plus claire s'épanouissait la lumière, voici ce que les brigands, pris à la gorge par la justice ont inventé : ils ont fait accuser le colonel Picquart d'avoir fabriqué le petit bleu qui le mit sur la piste d'Esterhazy. 
    Ah ! le colonel Henry a été convaincu d'avoir fabriqué un faux ! Alors, les complices d'Henry accusent le colonel Picquart d'avoir commis le même crime. Et, dans leur sombre pensée, ce sera coup double : contre Picquart, témoin principal de la vérité à la barre de la justice et de l'histoire, qui sera déshonoré, souillé brisé ; contre Dreyfus qui se lèverait d'entre les morts, et sur qui retomberait, plus lourde, éternelle, la pierre du sépulcre.
    L'information militaire ouverte contre Picquart pour crime de faux est rendue publique le 20 septembre 1898, la veille de l'audience en correctionnelle issue de l'instruction Fabre.
    La réciprocité des crimes étant induite, les peines le sont-elles aussi ? L'état-major ne prépare-t-il pas une mise en scène où Henry s'étant suicidé après ses aveux de faux, il arriverait le même sort au criminel Picquart ?

    La presse antidreyfusarde s'était déjà emparée du sujet en présentant l'officier comme fortement atteint pas les accusations du ministre, au bord du suicide, dès le lendemain de son arrestation le 13 juillet. 
    Lors de l'audience du 21 septembre 1898, le procès est renvoyé. Picquart est assis à gauche de l'image avec louis Leblois à ses côtés, parue dans l'Illustration du 1er octobre 1898.

    Face à ces rumeurs de suicide publiées dans les journaux, Picquart porta plainte. Mais là, réalisant la tentative de symétrie du pouvoir militaire, il décide de prendre la parole à l'audience : 
    ... Je viens d’apprendre ici la réalité de l’abominable machination à laquelle je ne voulais pas croire ce matin : c’est cette accusation de faux au sujet du petit bleu ! Vous comprendriez mieux cette affaire, si les débats avaient lieu, car ils vous éclaireraient sur la bonne foi de mes accusateurs.
    J’irai peut être ce soir au Cherche-Midi, c’est probablement la dernière fois, avant cette instruction secrète, que je puis dire un mot en public.
    Je veux que l’on sache, si l’on trouve, dans ma cellule, le lacet de Lemercier-Picard ou le rasoir de Henry, que ce sera un assassinat, car jamais un homme comme moi ne pourra avoir, un instant, l’idée du suicide. J’irai le front haut devant cette accusation, et avec la même sérénité que j’ai apportée toujours devant mes accusateurs ! Voilà ce que j’avais à dire, Monsieur le président.
    Cette déclaration, "son vaccin contre le suicide" selon le mot de la journaliste dreyfusarde Séverine, a-t-elle sauvé Picquart d'une mort prématurée ? On ne le saura jamais. Il lui reste cependant à patienter encore neuf mois en prison préventive, à la prison du Cherche-midi, puis à celle de la Santé, puisqu'il ne sera définitivement libéré qu'au lendemain de l'arrêt de cassation le 13 juin 1899.


    Pierre Stutin
    8 février 2014

    (1) Instruction Fabre, Interrogatoire de Louis Leblois, 2 août 1898, p. 121
    (2) Voir texte en annexe de l'Instruction Fabre, p. 239
    (3) Les trois pièces étaient la pièce "D m'a apporté" (un faux par altération d'un P en D", "Ce canaille de D", et la lettre de Panizzardi à Schwartzkoppen accusant nommément Dreyfus, baptisée "Faux Henry" quelques semaine plus tard.
    (4) Voir texte complet in Instruction Fabre p. 248
    (5) Ibid, Déposition Gonse du 21/07, p. 36. Le dossier Boulot était une affaire mineure de trahison qui s'est dégonflée peu de temps après son traitement par le Service de Statistique.
    (6) Ibiddéposition du 15/07 p. 16-18. Jouant sur une ambiguïté, l'existence de deux dossiers des pigeons voyageurs, l'un secret et l'autre commun, l'accusation avait reproché à  Picquart d'avoir fourni le dossier secret à Lelois. Alors que seul le dossier judiciaire avait été consulté par l'avocat.
    (7Ibid, déposition du 8 août p. 158
    (8Ibid, déposition Pellieux du 16/07/1896, p. 43
    (9Ibid, déposition Gribelin du 16/07, p. 22
    (10) in Enquête de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, Vol I, p.
    (11) Voir la série d'articles de Henri Brisson, constituant des Mémoires, parus dans le Siècle en 1903, et notamment les éditions des 10, 17 avril, 2, 12 18, 20, 29 mai, 3, 6, 8, 15, 19 juin.
    (12Manœuvre infâme, 22 septembre 1898, in Joseph Reinach, Une conscience, le colonel Picquart, Stock, 1898, p. 19-20



























    Le commentaire de du Paty (3)

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    Pourquoi le « commentaire » des pièces secrètes 
    connu depuis 1904 est un faux tardif ?

    (Partie 3)


    Armand Mercier du Paty de Clam, est l'un des principaux acteurs des débuts de l'affaire Dreyfus. Il livre à la Cour de cassation un prétendu brouillon du commentaire qu'il a contribué à rédiger en novembre ou décembre 1894. Ce commentaire a accompagné les pièces secrètes soumises aux juges de 1894.


    c) Le commentaire remis par Du Paty en 1904 : un faux

    Dans une communication écrite, Du Paty décrivit ainsi en 1899 le commentaire qu'il aurait rédigé en 1894 (Rennes III p. 512) :

    « Commentaire secret. — Ainsi que je l'ai dit devant la Cour de cassation j'ai été chargé d'établir au mois de décembre 1894, en présence du colonel Sandherr et avec sa collaboration, un commentaire sur certaines pièces secrètes que le colonel Sandherr a mises sous mes yeux. Ces pièces étaient les suivantes : 
    la pièce « Doute Preuve », cette pièce était accompagnée d'une traduction du colonel Sandherr qui savait l'allemand mieux que moi. 
    2° la lettre dite Davignon; 
    3° la pièce « Ce canaille de D. » Le colonel Sandherr nous dit que c'était une lettre de l'agent B à l'agent A. Je n'avais ni qualité ni moyens pour contrôler l'opinion du colonel Sandherr, opinion qui fut d'ailleurs partagée jusqu'à l'année dernière. par ceux qui connaissaient la lettre; il paraît que cette lettre est de l'agent A, à l'agent B. ; 
    4° une déclaration du colonel Henry dont je ne me rappelle plus les termes relativement aux propos que lui aurait tenus une personne honorable ; 
    5° des pièces dont je ne me rappelle plus la teneur ni l'objet, mais qui se rapportaient toutes à des faits contemporains du séjour du capitaine Dreyfus à l'Etat-Major de l'armée. [...]
    Quant au commentaire que j’ai établi sous la direction du colonel Sandherr il avait pour but d’établir la corrélation entre les pièces énumérées sous les paragraphes 1 à 5, ci-dessus ; de montrer qu’il y avait un traître à l’Etat-major de l’armée, que ce traître était un officier, qu’il appartenait ou qu’il avait appartenu au 2e bureau, et que ce pouvait être le capitaine Dreyfus. »

    En 1904, présent cette fois à l'audience et pressé par la Cour de cassation et son procureur général, Baudouin, Du Paty fut sommé de remettre un brouillon de commentaire qu’il avait avoué avoir conservé. L’opération fut théâtralisée. Du Paty refusa, puis demanda l’accord de Mercier, puis accepta en remettant une copie du brouillon, puis finit par remettre l’original du brouillon. Cette valse-hésitation ressemble fort à une mise en scène destinée à accréditer le fait que ce brouillon était une pièce importante, et à lever tout doute sur le fait qu'elle contenait ce qui avait été lu au Conseil de guerre de 1894.

    A l’examen précis de son contenu, il apparaît que le commentaire est un faux, un document apocryphe. Il fait référence en effet à un élément dont les deux témoins fiables, Picquart et Freystätter, affirmèrent unanimement qu'il n'était pas présent dans le dossier en 1894 et 1896. 

    Du Paty précisa dès 1899 que le commentaire contenait une déclaration de Henry « relativement aux propos que lui avaient tenus une personne honorable », et la version qu'il donna en 1904 fait allusion à deux reprises à ce témoignage, sous une forme d'ailleurs déjà peu cohérente (Cass 1904 I p. 374) :

    [L'ami de l'attaché militaire allemand à l'état-major] ne peut être autre que l'officier dénoncé par V... qui, au mois de mars 1894, a avisé secrètement notre service des renseignements que ses collègues allemands et italiens (V... étant attaché espagnol) ont un officier à leur dévotion au 2e bureau de l'état-major de l’armée. Il tient le renseignement de (se reporter à l’original). II a confirmé son dire devant témoin tout récemment. (Note jointe D).

    Le passage implique en effet deux pièces, un « original » contenant un rapport sur une conversation avec l'agent « V. », et une « note » portant semble-t-il à la fois sur cette première conversation et sur une deuxième — mais le texte n'est pas clair.

    Simple ou double, le témoignage en question est celui de l'ex-attaché militaire espagnol Valcarlos ; il est certainement apocryphe, puisque non seulement Valcarlos a toujours nié l'avoir donné, mais de plus Picquart a toujours affirmé qu'il n'y en avait aucune trace dans le dossier en 1896. Il est absolument exclu que Picquart ait oublié un élément (et même plusieurs, si un original et une note étaient tous deux joints au dossier) qui, s'il avait été effectivement présent sous une forme ou une autre, aurait été l'unique début de preuve un peu probante permettant de soutenir l'accusation contre Dreyfus. Freystätter confirma également qu'aucune trace écrite du témoignage Valcarlos n'avait été communiquée aux juges en 1894, et n'évoqua, dans sa lettre à Reinach, qu'une éventuelle allusion orale faite par le président du Conseil de guerre, Maurel. Il est donc extrêmement improbable que le témoignage Valcarlos ait été inclus dans le dossier en 1894, et impossible qu'il y ait été inclus en 1896.

    Le commentaire de 1904 n'est donc PAS un brouillon du commentaire vu par Picquart en 1896, puisqu'il manque à ce dernier l'un des éléments essentiels du premier. Du même coup, ce document de 1904 ne pourrait être un document authentique de 1894, comme l'affirme Du Paty, et l'accusation de 1894 ne pourrait contenir des pièces utilisant les « déclarations » de Valcarlos, qu'à condition de supposer que ce témoignage de Valcarlos aurait été introduit dans un premier commentaire de Du Paty, sur la base d'une note de Henry et peut-être d'un rapport communiqué à la Section, puis retiré d'un second commentaire de Du Paty (celui trouvé par Picquart) ainsi que de l'éventuel commentaire final de Sandherr (fourni à Freystätter), tandis que la note de Henry et l'éventuel rapport ou les rapports l'accompagnant étaient également retirés du dossier, si bien qu'il ne resterait plus de trace écrite du témoignage Valcarlos entre le jugement de 1894 et la réouverture du dossier par Picquart en 1896.

    Ledit témoignage aurait enfin été réintroduit après le départ de Picquart dans le dossier, puisqu'il s'y trouve encore aujourd'hui sous deux formes ; d'une part sous la forme de deux rapports de l'ex-policier et agent du Service de statistique Guénée, rapports datés de 1894 et effectivement présents sous une forme différente dans le dossier en 1896 d'après le témoignage Picquart, mais réécrits pour y inclure les affirmation de Valcarlos (les « rapports Guénée » actuels, qui sont donc des faux, SHD 4J118 33 et 34) ; d'autre part par l'intermédiaire d'une note dont le contenu est attribué à Henry, et qui inclut des indications sur Valcarlos supposées dater de 1894 et pouvant correspondre à celles données dans la note à laquelle Du Paty avait fait allusion (SHD 4J118 35).

    Aucune déclaration d'un quelconque des protagonistes de l'Affaire ne permet de supposer que pareil jeu de bonneteau ait eu lieu avec le témoignage Valcarlos, de supposer l'existence de deux commentaires successifs et profondément différents de la main de Du Paty, et enfin de comprendre pourquoi Sandherr, puis Henry auraient décidé de tromper Picquart en retirant du dossier un de ses éléments essentiels après le jugement de 1894 ; Picquart avait la confiance entière de Sandherr, et était le supérieur direct de Henry. Le témoignage Valcarlos, les rapports Guénée modifiés et la note de Henry sur le témoignage Valcarlos sont donc très probablement des inventions de 1896-97, faisant partie de la vague de faux générée par Henry et Gonse pour contrer Picquart.

    Auquel cas le commentaire de Du Paty fourni en 1904 date forcément lui aussi d'après 1896-97 et est apocryphe, peut-être même rédigé peu avant la comparution de Du Paty devant la Chambre criminelle de la Cour de cassation. Au passage, le commentaire de 1904 ne correspond même pas à la description que Du Paty lui-même donnait de son travail en 1899, puisqu'il ne contient aucune allusions au 5° point développé en 1899 (« des pièces dont je ne me rappelle plus la teneur ni l'objet, mais qui se rapportaient toutes à des faits contemporains du séjour du capitaine Dreyfus à l'Etat-Major de l'armée »). Et Du Paty a menti sur la nature, la date de rédaction et le contenu de ce document, mensonge concocté avec la complicité active de Mercier, et corroboré par Gonse et De Boisdeffre.

    Pour conclure, le commentaire fourni en 1904 est donc au mieux une pièce éminemment suspecte, qui ne peut en aucun cas servir à déterminer le contenu de l'accusation de 1894, et n'en est même pas une trace comme Du Paty le prétend ; pour ce travail, les seules bases solides restent, par ordre chronologique de lecture du dossier par les protagonistes, les déclarations de Freystätter, entièrement incompatibles avec la version donnée par Du Paty, et celles de Picquart, que le commentaire de 1904 reprend intégralement, n'y ajoutant que le faux Valcarlos. Le commentaire de 1904 n'ajoute donc rien à ce que nous savons du dossier, si ce n'est une nouvelle tentative de faux.

    2 - Quel statut pour le commentaire de 1896 ?

    Curieusement, Picquart ne paraît pas avoir pris la mesure du problème que posait l'apparition du témoignage Valcarlos dans le commentaire de 1904. Tous ses témoignages de 1898, 1899 et 1904, comme le long article récapitulatif qu'il publia en plusieurs épisodes dans la Gazette de Lausanne en 1903, montrent qu’il a toujours cru à l’existence d’une seule et unique version. Il aurait pourtant dû être évident à ses yeux que puisqu'un élément essentiel du commentaire présenté par Du Paty en 1904 était absent du commentaire que lui-même découvrit en 1896, le commentaire de 1904 était en réalité une nouvelle version. Mais le faux de Du Paty ne semble s'être écarté de son modèle d'origine que sur un seul point, le témoignage Valcarlos, et Picquart se contenta de valider cette ressemblance d'ensemble.

    Surtout, Picquart se refusa toujours à envisager que le commentaire de Du Paty qu'il avait vu en 1896 ait été très différent du commentaire fourni aux juges. Il aborda brièvement le problème dans sa série d'articles de la Gazette de Lausanne (article du 1er août 1903), et justifia sa position avec les trois arguments suivants :

    - Il a reconnu l’écriture de Du Paty
    - Boisdeffre et Gonse n’ont pas objecté à propos du commentaire lorsque Picquart leur a présenté en 1896.
    - Mercier a exigé de brûler le commentaire découvert par Picquart en 1896.

    Le premier point est l'élément qui permet de tenir pour certain que Picquart a vu au moins une version du commentaire originel, rédigée par Du Paty en 1894 ; si éventuel commentaire final de Mercier et Sandherr il y eut, il n’était pas de l’écriture de Du Paty. Il est par conséquent normal que Picquart n’ait pas été surpris par la révélation du « brouillon du commentaire » que du Paty a livré en 1904, et que son auteur avait évidemment veillé à faire coïncider grosso modo, Valcarlos excepté, avec ce que Picquart avait déjà expliqué publiquement avoir vu en 1896 — mais il n'en reste pas moins que le commentaire donné aux juges pouvait être différent de celui qu'il avait découvert, écriture de Du Paty ou pas.

    Le second point tendrait à confirmer la version de de Boisdeffre et Gonse, qui affirment avoir eu connaissance uniquement du commentaire originel de Du Paty. Ils n'avaient donc pas de raisons non plus d'être surpris de voir ce qui pour eux pouvait être le seul commentaire. Mais là encore, l’absence de surprise de Boisdeffre et de Gonse n’est certainement pas une preuve de l’identité des deux commentaires, l'originel réapparu en 1896 et celui fourni aux juges en 1894. D'autant que ce dernier, s'il était différent, avait été détruit par Mercier et que Gonse comme De Boisdeffre le savaient certainement ; dans ces conditions, il devenait compliqué d'expliquer à Picquart qu'une pièce essentielle lui manquait.

    Le dernier point s'appuie sur le système Mercier, puisqu’au moment de la destruction du commentaire originel découvert par Picquart, fin 1896, l’ancien ministre d'après ce qu'il affirma plus tard, ne voulait laisser aucune trace de son forfait. Mais la destruction du commentaire réapparu en 1896, là encore, ne prouve rien quant à l'existence et au contenu du commentaire final de 1894 que Freystätter affirme avoir vu. Que Mercier aie voulu détruire toutes les traces de la forfaiture de 1894 n'implique nullement que ces traces étaient toutes les mêmes.
    Comme dans le reste de notre travail, nous sommes donc renvoyés aux deux témoignages contradictoires de Picquart et de Freystätter, sans pouvoir véritablement trancher entre les deux. 



    PG & PS


    BOOK

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    An Officer and a Spy

    by Robert Harris

    A historian's point of view


    A novel retelling the Dreyfus Affair, with Georges Picquart as its hero, topping the sales lists in UK and the United States — now that is a surprising development, for a historian at least. Of course, English literature has been well aware of the Dreyfus affair ever since it took place, and even now, there is a new book on the subject every year, either fiction or non-fiction.(1) But most recently, Robert Harris, a hugely successful author of thrillers, brought a new approach to this amazingly complex story, with considerable success.


    A few days after the death of Georges Picquart, in January 1914, Paul Desachy (2) wrote the following lines in the French newspaper Gil Blas:

    "When events will have receded into the distant past, when, one by one, all the major players will have been laid down in their graves, poets and novelists will keep them alive in the memory of men. The glory of France will be reflected in these evocations of a tragic page. Heroes are revealed by crises of conscience. Our generation will have provided a mutitude of them, and, first among them, the greatest of them all, because he was a soldier – o military servitude ! – Georges Picquart.”

    In spite of his lyricism, Desachy was wrong. Contrary to the journalist’s belief, very few French or foreign novelists have shown interest for the heroes of the Dreyfus Affair, with the significant exception of Émile Zola. One could even say that virtually nothing has been written in this regard, 120 years after the start of the momentous event.

    Many writers have shied away from this story. Why? The answer is far from obvious. Maybe because of its incredible complexity, or because of the huge emotional shock it represented, or simply because of the vast cast of characters one would have to handle? The fact is that no novel ever gave a complete account of it. One can find just a few pages in Proust, a parable by Anatole France, a fictional and incomplete transposition by Emile Zola, some paragraphs here and there written by 20th-century novelists, in short nothing that embraces the whole complexity of this long saga.(3)

    It is therefore with the greatest interest, with curiosity, and also with some apprehension, that a historian specialized in the Affair will open a novel fully devoted to the Dreyfus Affair such as this one. One's interest is also piqued by the fact that this work is assuredly presented as a work of fiction, but still also as grounded in a rigorous historical framework.

    Picquart, the white knight

    Robert Harris, a former BBC and Sunday Times journalist, is a regular writer of bestsellers. He belongs to this Anglo-Saxon school of historical novelists which, advocates a reshuffling of reality as a tool to introduce the actual historical background and its details, enhance realism, and, all in all, strengthen the narrative credibility of their novel.

    For this book, Robert Harris chose to narrate the Dreyfus Affair subjectively, using the first person singular and the present tense, with his main character, lieutenant-colonel Georges Picquart, as the narrator.

    This is quite a brilliant idea, for who more than Picquart could be both actor and witness of the drama, from the beginning to the end, except Alfred Dreyfus himself, of course?

    Still, besides the fact that Picquart left no autobiographical notes(4), this bias may seem very restrictive. Addressing the Dreyfus affair through Picquart ‘s eyes, relegating the unfortunate captain in a supporting role means taking the risk of limiting the narrative to that portion of the case experienced by this one officer; a fictionalized retelling of the famous Affaire sans Dreyfus (5), in fact. Indeed Harris has been criticized on this head — but this tack is an original one at the very least, and no other earlier work had adopted it.
    Georges Picquart, circa 1900.

    A brilliant officer 

    To quickly recap, Georges Picquart was a brilliant officer, having reached the grade of Major at the very young age of 33, and on a career path, which gave him the highest hopes to reach the top of the French military hierarchy. Officially appointed on July 1st 1895 at the head of military intelligence, the Statistics Section, he started to investigate the Dreyfus Affair at the instigation of the Army Chief of Staff, General Raoul le Mouton de Boisdeffre.

    In 1896, he discovered a new traitor, Major Walsin-Esterhazy, the writer of the bordereau, the piece of evidence on which Dreyfus had been found guilty. After a six-month investigation, conducted with the greatest secrecy, to ensure that Esterhazy was guilty, he reported to his superiors that a mistake had been made. But the generals refused to launch the process leading to a retrial. Instead, they tried to snuff out any revival of the Dreyfus Affair.

    Picquart, considered as a dangerous nuisance by his superiors, was fired from his job in military intelligence and sent off to Tunisia, but the disgraced officer swore that he would not let such a secret be buried with him in his grave. He confided in Louis Leblois, a lawyer and childhood friend, who subsequently revealed the whole matter to the public through one of the Vice-Presidents of the Senate, Auguste Scheurer-Kestner, at the end of 1897.

    Three lawsuits 

    After having testified at Esterhazy’s and Zola’s trials, Picquart became the target of three successive lawsuits that led him to be expelled from the army and jailed for nearly a year overall.

    He then threw himself seriously into the Affair, and took on the role of lead defense witness during the appellate investigations of the Cour de Cassation in 1898 and 1904, and also during Dreyfus' second court-martial in Rennes in 1899. He was beyond doubt the main actor in the rehabilitation of Alfred Dreyfus, finally found innocent in July 1906.

    Immediately after this decision, Picquart was reinstated in the army, appointed general, and eventually joined Georges Clemenceau's government, with the portfolio of Minister of War. In 1910 he was appointed commander of an Army Corps in Amiens and died of a horse riding accident in that city in January 1914, a few months before the outbreak of the First World War.

    Picquart embodies both the white knight of the Dreyfus affair for the dreyfusards, and the worst traitor to their enemies, because as a soldier, he challenged discipline and defied the orders of his superiors without resigning. He was the General Staff’s scapegoat. 
    Quite a life, as eventful as any novel! A story within the larger story. 
    Saint Picquart and the Archange Schwartzkoppen, by Caran d'Ache. Antidreyfusard
    cartoon published in the weekly Psst...!, October 15th 1898. The cartoon shows  

    Georges Picquart in his cell at the Cherche Midi Prison in Paris.

    Dual complexity 

    With such a rich plot, the novelist intending to deal with the Dreyfus case faces a dual difficulty, indeed a dual danger. On the one hand, and paradoxically, one has to rely on a mountain of documents that may both drown the narrative in unnecessary details and extend its length beyond all reasonable limits. On the other hand, one must try to resist the irresistible temptation to engage in gratuitous hypotheses, to offer a definitive explanation, to yield to impulse to expose "what really happened." The Dreyfus affair is truly a factory for mass-producing fantasies, and its drama tends to generate false mystery and gratuitous assertion.

    Quite surprisingly, Robert Harris entirely avoids these two pitfalls. Straightforwardly, keeping his cast of characters at a minimum, to better serve his narration, Mr. Harris tells the story of the Dreyfus Affair honestly, precisely as it unfolded before his hero’s eyes.

    Although hefty, the novel is still a remarkable synthesis of a complicated story, written with exceptional historical accuracy, even including some relatively little-known details. For instance, in Chapter 10, Harris tells us that, on the morning of October 15th, 1894, Georges Picquart was the officer who was in charge of welcoming the unfortunate Alfred Dreyfus, and ushering him into the study where he was to be arrested and sent on his way to jail for the next five years!

    Obviously, the author of the novel undertook meticulous research, and based his writing on highly reliable sources, which he selected and managed with a strong command of the storyline. The references he used are listed at the end of the volume, showing the amount of research which went into the work.

    Few minor flaws 

    Far from being a daunting essay, the author’s clear and orderly story contains many small touches and true details, along with most relevant attested dialogs, allowing the reader to be immersed in the case, and achieving full believability for his original narrative choice. For example, the author has endeavored to find all the exact first names of the characters, at a time when it was not good manners to publish them before the family name. Primary and secondary sources often do not mention them, and sometimes extensive research must be carried out to find them.(6) 
    And of course Robert Harris, a thriller writer, had no trouble maintaining the suspense for the reader, despite the fact that the ending of the story is universally known; that in itself is quite a tour de force.

    Certainly, the specialist of the Dreyfus Affair will come across a few minor errors here and there, some arrangements with reality, along with limited departures from the historical truth. Taking up musty history to turn it into a polished tale, Harris takes also a few dramatic licenses. For instance, some of the meetings and events between dreyfusard characters he mentions never took place (for instance the major meeting in chapter 19, where Picquart is supposedly introduced to Clemenceau, Scheurer, Mathieu Dreyfus, Charpentier, Ranc and Émile Zola). Robert Harris does not hide this, though, and indeed writes in his foreword that "in order to turn history into a novel [he] has been obliged to simplify, to cut out some figures entirely, to dramatize, and to invent many personal details".

    In this regard, the only major departure from the real story is the introduction of a romantic interest. Picquart’s actual love life remains completely unknown to this day, so our novelist made it up entirely: for the purposes of the story, Blanche de Comminges is rejuvenated (she was actually 54 years old in 1896, not 25), and Picquart's love affair with Pauline Romazzotti / Monnier is pure fiction.(7)

    Who cares? Any novelist must be granted the right to use such license, contrary to the historian.  With the general tone of the story right on target, and the main storyline respected, with no major twists or grotesque assumption, the result is a pleasing and really exciting novel. 
    Nobody should ever confuse a novel with a historical essay.

    During the second court martial in august 1899, Colonel Picquart, second to left, seated by judge Bertulus, is
    encircled by antidreyfusards captain Cuignet and major Lauth. A drawing by Louis Sabatier for the weekly L'Illustration.
    Alfred Dreyfus was not autistic 

    Virtually everything that is written is true. What is invented is written with the utmost credibility. The plot is fully respected. But for a modern novel, aiming at the widest possible readership, events must be, not simplified, but rather condensed. Indeed Robert Harris is right to leave complexity to the historians.

    Still, I had three regrets reading the novel. 
    The first one concerns the representation of Alfred Dreyfus. It is true that many testimonies present him as a cold , distant, unpleasant and unfriendly man. This is the "unsympathetic Jew that can't defend himself." True to form, Harris describes a Dreyfus almost autistic in his aloofness. But these judgments are a hundred and twenty years old, and out of date.

    This point of view originated first with the military, which had every reason to damage the image of its victim in order to justify his persecution.
    Second, it was reinforced by the Rennes trial and its tragic picture of the moment when Alfred Dreyfus appeared for the first time in public. He was exhausted by five years in a penal colony, emaciated and sickened. Those who expected to see a strong, fighting or aggressive rebel attacking his accusers, a hero fantasized both by Dreyfus' friend’s and by his enemies, were deeply disappointed. Hence this myth of passivity and indifference which persists today despite many debunkings.

    This judgment about Alfred Dreyfus was not unanimous. One can quote for instance, what a journalist covering the Dreyfus court-martial, G. Linguet, wrote at the time (8):

    The man I watched degraded, the day of the execution parade, I saw him again straight and firm, before Colonel Jouaust, a handsome soldier with a white mustache. He stood, well-behaved and firm. The voice, which was supposed to be sour, is very male and assured on the contrary, answering clearly and giving his protestations of innocence an accent that has stirred many souls.
    During the reading of the 1894 indictment, he hardly passed his gloved hand on his mustache, still black under his short gray hair and a bald  forehead. At one point, he mopped his face. Throughout he remained a soldier, stiff as in the morning of the degradation, saying "colonel" without any affected, excessive deference, vibrantly speaking of his years of suffering. And on his chair, him the Jew, face to face with the Christ, his demeanor was so thoroughly correct that the  drama of the session was not in what we saw and heard, but in what was below or rather beyond, above, dominating men as justice dominates souls and as the flag dominates foreheads.’

    Vincent Duclert (9) and many other historians contradicted this image of alleged coldness, the so called blanks of Captain Dreyfus, and on the contrary shown his fighting spirit despite his exhaustion, his acute intellect despite his demoralization. Alfred Dreyfus deserved better than the bland depictions given here.

    Our novelist could be forgiven, however, considering how many sources to this day insist on presenting what they perceive as Alfred Dreyfus’ unpleasant character. The author has simply reproduced a form of consensus, although not one which is historically relevant anymore. 

    A more attractive Picquart 

    Second criticism: the novel ends at the Rennes trial. The third Dreyfus Affair (1899-1906), as eventful as it was, seems to remain unattractive to the novelist or movie director. But reducing the last phase of the case in a few pages seems a little rough. This is probably a compromise: as the story is obviously already long, it was perhaps wise not to lengthen it even more.

    The last regret is about colonel Picquart’s personality, quite embellished. He is the hero, it's perfectly natural! But Picquart had serious flaws: he was very arrogant, quite naive, and morbidly susceptible. These traits are erased in the novel. 
    Most annoying, Picquart’s anti-Semitism, still a matter of debate in its degree but not in its existence(10), is mainly ignored in the novel. This singular trait for a strong advocate of the cause of Captain Dreyfus would nevertheless have deepened the complexity of the character in my opinion.

    Apart from these limitations, Robert Harris's novel is perhaps the best fiction written about the Dreyfus affair. This is an exciting novel, a real pageturner, fully describing  both the atmosphere and the dark side of this great event of the Belle Epoque, and keeping its departures from history at a minimum. Moreover, it is constructed as a suspenseful spy story which is really enjoyable.
    This book is particularly suitable for those who are totally unaware of the Dreyfus affair. But even if the outcome and details of the affaire Dreyfus are know, it is still a very good read.
    An Officer and a Spy is a thrilling novelization of the Dreyfus Case, highly recommended!

    Robert Harris, An officer and a Spy, Hutchinson (UK), 2013. US, Knopf  2014.


    Pierre Stutin.
    Feb. 28th  2014

    Cette chronique est exceptionnellement rédigée en anglais, le roman ayant été publié dans cette langue, en allemand et en néerlandais jusqu'ici. Nous reviendrons sur ce roman dès sa parution en français, annoncée pour le 5 juin 2014 aux éditions Plon.


    (1)For instance: Why the Dreyfus Affair Mattersby Louis Begley (2010), The man on Devil’s Island by Ruth Harris (2011), The Dreyfus Affair by Piers Paul Read (2012).

    (2) Paul Desachy (1872-1956) was a writer and journalist, editor at the newspaper Le Siècle, writer at newspapers Le Rappel, Gil Blas, Le Soir and Les Droits de l’Homme. He is the author of three books on the Dreyfus affair. He also owned the Esterhazy papers he bequeathed to the Bibliothèque Nationale de France.

    (3) Anatole France wrote L'Île des pingouins(1907) which tells parts of the Affaire in the livre VI : « L’Affaire des quatre-vingt mille bottes de foin. »  The last novel written by Émile Zola before his death, Vérité, is a transposition of parts of the affaire Dreyfus in a school environment (1902). Other French novelists like Roger Martin du Gard, Marcel Proust or Maurice Barrès sometimes recall the Dreyfus affair in their respective works.

    (4) Apart from a few articles written for the Gazette de Lausanne between 1903 and 1906.

    (5) Marcel Thomas, L’Affaire sans Dreyfus, Fayard, 1961. The book, celebrated as the first scientific work on the Dreyfus affair, deals with the events up to Henry’s suicide.

    (6) Only one error regarding first names has been identified : commandant Curé’s first name was Louis Amédée, not Albert. Furthermore President Félix Faure is misspelled as Fauré, and chief inspector Cochefer as Cochefort.


    (7) The couple Pauline Romazzotti and Philippe Monnier is real. Pauline was born in Molsheim (Alsace) on june 16th 1854 and passed in 1939 at the age of 85. Philippe Marie Etienne Marcel Monnier was born in 1847 in Vesoul and died in 1928 at the age of 81. He was a lawyer and magistrate. They married on may 27th 1878 in Paris, and lived thereafter in Versailles, close by Mélanie Debenest, mother of Georges Picquart. In 1896, Pauline was the same age as Picquart: 42. The couple was at leas friends with a cousin of Picquart, Edmond Gast.
    (8) Impressions de Rennes, G. Linguet in Le Temps, August the 8th 1899, p. 4. Le Temps was the exact equivalent of the London Times.

    (9) V. Duclert, Alfred Dreyfus, l'honneur d'un patriote, Fayard,  2006.
    (10) A good debate about this question in C. Vigouroux, Georges Picquart dreyfusard, proscrit, ministre, Dalloz 2008, p. 355-366.






    JAURÈS

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    L'ANNÉE DU CENTENAIRE


    Le 31 juillet prochain sera célébré le centenaire de la mort de Jean Jaurès, survenue au café du Croissant dans les circonstances dramatiques que chacun connaît. Afin de commémorer cet événement, un certain nombre de manifestations se dérouleront tout au long de cette année. Par ailleurs, le rôle de jean Jaurès étant prépondérant dans le cadre de l'affaire Dreyfus, un article ultérieur rendra hommage à son action ici même.



    Un site Internet entièrement consacré à l'événement



    Tout au long de l'année 2014, la Fondation Jean Jaurès propose, plusieurs initiatives autour de la célébration de la mort de Jean Jaurès. Afin de concentrer l'information et de communiquer le plus largement possible, la fondation vient de lancer un site Internet entièrement dédié à la célébration. On saluera la qualité de la réalisation qui associe une riche iconographie avec le contenu le plus informatif.
    Voir le site sur www.jaures2014.fr

    Une exposition aux archives nationales




    Les Archives nationales et la Fondation Jean-Jaurès présentent l’exposition Jaurès. Elle retrace le parcours de ce normalien, autant orateur brillant que plume productive, fondateur du journal L’Humanité, père du socialisme, justicier et pacifiste.

    A travers près de deux cents documents et objets, dont certains inédits, l'exposition retrace la formation, les combats parlementaires et militants pour la laïcité et la paix, la défense du progrès social et l’idéal d’une humanité fraternelle de Jean Jaurès. Évoquer son action publique, sa personnalité et ses idées politiques fait partie du travail de mémoire auquel nous sommes collectivement attachés. C’est aussi, dans le cadre du centenaire de la Grande Guerre, faciliter la compréhension de l’enclenchement des conflits et de l’organisation du monde actuel.

    Archives nationales - Hôtel de soubise - 60, rue des Francs-Bourgeois - 75003 Paris.
    du lundi au vendredi : 10h - 17h30 ; samedi et dimanche : 14h - 17h30
    6 euros, tarif réduit 4 euros
    Site Internet : www.archives-nationales.culture.gouv.fr/sia/web/guest/exposition-jaures

    Dans les Médias

    France Culture, partenaire de l'exposition Jaurès, propose une semaine spéciale sur Jean Jaurès, dans l'émission d'Emmanuel Laurentin, La Fabrique de l'Histoire, du 24 au 27 mars 2014, du lundi au vendredi de 9h à 10h.

    La Fabrique de l'Histoire : Suivre ce lien.

    Par ailleurs, le documentaire Jaurès est vivant ! sera diffusé sur Arte cet été
    Écrit par l'historien Jean-Noël Jeanneney et Bernard George, réalisé en 2013 par Bernard George et coproduit par Kuiv Productions et ARTE France, ce documentaire d'une heure et demie propose le portrait de "l'homme de chair et de sang", à travers images d'archives, reconstitutions et évocations actuelles.  

    Des extraits du documentaire ont été rendus accessibles sur le site du journal Le Monde 

    Des publications

    Plusieurs hors-séries sont parus récemment et font le tour du sujet avec de nombreux auteurs choisis :

    Jean Jaurès, un prophète socialiste, Hors-série Le Monde, collection "une vie, une œuvre", mars 2014, 7,90 euros.http://www.histoire.presse.fr/mensuel/397



    Jaurès : Le socialisme du possibleRevue L'Histoire, n° 397, mars 2014, 6,40 euros.



    Des livres


    Jean Jaurès Gilles Candar et Vincent Duclert, Fayard, 2014, 27 euros.

    Une biographie attendue par le directeur de la fondation Jean Jaurès et Vincent Duclert qu'il est inutile de présenter. 
    En près de 700 pages, "ce livre défend une interprétation de l’homme et de son action dans l’étude du combat politique, intellectuel et moral qui entraîna Jaurès tout au long de son existence, et même par-delà sa mort puisque sa mémoire continue d’agir puissamment sur les représentations contemporaines." 
    C'est la parution essentielle de ce centenaire avec une mise à jour complète des connaissances sur ce personnage central de la Troisième République jusqu'en 1914.
    Lecture vivement recommandée.




    Le monde selon Jaurès. Polémiques, réflexions, discours et prophéties, Bruno Fuligni, Editions Talandier, 2014, 19 euros, 224 p.
    Un florilège de citations et extraits de discours de Jaurès, replacées dans leur contexte historique. L'ouvrage montre l'extraordinaire diversité des centres d'intérêt de cet homme universel. Indispensable.




    Jaurès 1859-1914 : La politique et la légende, Vincent Duclert, Editions Autrement, Collection Vies Parallèles, 283 p., 2013, 21 euros. Réédition d'un travail paru il y a quelques années, ce livre de Vincent Duclert constitue une synthèse de bonne facture sur le personnage de Jean Jaurès. Peut-être moins fouillée que le précédent, ce livre amène toutefois un éclairage consistant sur la biographie de Jean Jaurès.

    Autres ouvrages parus récemment ou à paraître prochainement :

    Jean Jaurès. Combattre la guerre, comprendre la guerre
    Vincent Duclert, Fondation Jean-Jaurès, 2013.
    L'essai est téléchargeable gratuitement sur le site de la Fondation Jean-Jaurès.

    Jaurès et Clemenceau, un duel de géants, Paul Marcus, Editions Privat, 236 p., 2014
    Paul MARCUS est docteur en histoire, et ancien maître de Conférence à l'Institut d'Etudes Politiques de Paris, aux côtés de Pierre Nora  chargé d'enseignement de l'historiographie. Il est l’auteur, de 60 ans d'amours contrariées les relations franco-israéliennes de 1948 à aujourd'hui (Cherche Midi 2008). 

    Jean Jaurès, Jacqueline Lalouette, Librairie Académique Perrin, 2014, 24 euros
    Professeur émérite d’histoire contemporaine (université de Lille-III), membre senior de l’Institut universitaire de France, Jacqueline Lalouette est une spécialiste de l’histoire du socialisme et de la laïcité. Parmi ses principaux ouvrages : La libre-pensée en France 1848-1940 (1997) ; La République anti-cléricale XIXe-XXe siècles (2005) ; La séparation des Eglises et de l’Etat (2005) ; La France de la belle Epoque (2011)

    Bande dessinée :
    Daniel Casanave et Frédéric Chef, Altercomics, Montpellier, 2011, 144 pages, 20 euros. 

    Pierre Stutin
    17 mars 2014






















    Espionnage

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    Les fuites dans la presse de novembre 1894 ont elles été organisées par le contre-espionnage français ?

    Une du quotidien La Presse du Jeudi 1er novembre 1894.


    Ce mois de novembre 2014 marque les 120 ans du début de la révélation de l'affaire Dreyfus. Des recherches récentes sur la presse de l'Affaire, un matériau encore relativement vierge, nous ont amené à nous demander si la célèbre Section de statistiques n'était pas elle-même à l'origine des fuites révélant l'arrestation du capitaine Dreyfus. Voici pourquoi.

    La chronologie des événements est connue : à la suite de l'arrivée du Bordereau à l'état-major de l'armée, subtilisé à l'Ambassade d'Allemagne à la fin du mois d'août 1894, une simple ressemblance d'écriture dirige les soupçons vers un jeune officier d'état-major stagiaire, juif, le capitaine Alfred Dreyfus.

    Une enquête sommaire est menée pendant environ deux semaines. Elle ne révèle aucune nouvelle charge contre l'officier. Aucun mobile n'apparaît. Pire, les experts en écriture sont en désaccord. 
    Mais les responsables de l'enquête jugent malgré tout qu'ils ont identifié l'auteur du bordereau, en même temps que le coupable de fuites déjà anciennes, concernant un trafic de plans de forteresses. 

    Sur cette base plus que légères, il est décidé de procéder à l'arrestation d'Alfred Dreyfus, sans même se livrer à aucun complément d'enquête. L'espoir des enquêteurs réside dans une scène imaginée par Armand Cochefert, le responsable de la Police à la Préfecture. On veut obtenir la preuve parfaite : l'aveu. 
    A cet effet, Alfred Dreyfus sera soumis à une épreuve candide, qui consiste à lui dicter un texte approchant celui du Bordereau afin que, confondu par les termes du texte, il s'effondre et avoue son forfait. La certitude dans la culpabilité du capitaine est telle que le ministre signe l'ordre d'arrestation dès le samedi 13 octobre, soit deux jours avant sa convocation. 

    Le lundi 15 octobre, après avoir été reçu par le commandant Georges Picquart, le capitaine Dreyfus est introduit dans le bureau du chef d'état-major de l'armée, absent en inspection, puis soumis à l'épreuve organisée par le commandant Armand Mercier du Paty de Clam, le chef d'enquête.

    Au secret
    Rien ne se passe comme prévu. Le capitaine Dreyfus ne comprend évidemment rien à ce qu'on lui demande, mais se livre sans discuter à l'exercice qu'on exige de lui. Et puis soudain, les enquêteurs se jettent sur lui en l'accusant d'avoir trahi la patrie, mais sans lui préciser les charges. Malgré ses énergiques dénégations, Dreyfus est arrêté, et conduit immédiatement à la prison du Cherche-Midi par le commandant Joseph Henry, où il est mis au secret le plus absolu. 

    Les quinze jours qui suivent cette arrestation sont consacrés à des compléments d'enquête, alors que l'interrogatoire du suspect ne débute qu'une semaine après son arrestation.
    Les enquêteurs n'obtiennent aucune nouvelle information, ni même aucun indice supplémentaire. L'éventuel mobile à la trahison n'apparaît toujours pas, puisque Alfred Dreyfus n'a pas besoin d'argent, héritier de son père, industriel, et marié à Lucie Hadamard, famille de diamantaires richissime. Du côté des mœurs, Alfred Dreyfus est décrit comme un ancien homme à femme, mais il apparaît rangé depuis son mariage, six années plus tôt.

    Il est probable qu'à ce moment de l'enquête, une lettre manuscrite, écrite par l'attaché militaire de l'ambassade d'Allemagne, Maximilian von Schwartzkoppen, ait été rattachée au cas d'Alfred Dreyfus.

    Cette lettre trahit l'existence d'un espion français à la solde des attachés militaires italien et allemand. Cette missive le désigne sous l'initiale D. C'est la fameuse lettre connue sous le nom de "Canaille de D..." Sous pression de sa hiérarchie, le contre-espionnage français a tôt fait de pratiquer un amalgame osé par l'association D = Dreyfus, en conjonction avec cette ressemblance d'écriture. D'après le colonel Albert Cordier, commandant en second du contre-espionnage :
    Je me rappelle parfaitement les pièces qui ont été trouvées à ce moment-là. La première a été la pièce « Ce canaille de D. » Sandherr me dit « Qu'est-ce que tu penses de cela ? » On a beaucoup parlé de cette pièce, que je voudrais tant revoir ; pour moi, à ce moment-là, c'était une antiquité, à tort ou à raison, je l'avais dans la tête et je l'ai encore. J'ai dit à Sandherr : « Tout cela n'a pas l'air de signifier grand' chose, mais enfin il y a une initiale, on peut l'envoyer. » Et pour moi c'était à l'instruction que cela devait être porté.(1)

    Mais l'enquête piétine et s'achemine vers un fiasco judiciaire. Au point qu'à la fin du mois d'octobre, dans une lettre à son ministre, le responsable de l'enquête, le commandant du Paty de Clam, propose l'élargissement du capitaine Dreyfus faute de preuve et de charge à son encontre.
    La presse alertée
    C'est à ce moment précis que l'affaire, jusque ici totalement secrète, est révélée au public par la presse. Les premières interventions des journaux dans l'affaire Dreyfus sont bien connues. Dans les derniers jours du mois d'octobre 1894, la rédaction du journal antisémite La Libre Parole paraît avoir reçu un billet laconique, indiquant qu'un officier juif a été arrêté pour faits d'espionnage et qu'il est gardé au secret. Ce billet est signé Henry.
    On a beaucoup glosé sur la signification de ce "Henry", l'historien Joseph Reinach n'hésitant pas à en accuser le commandant Joseph Henry, pour les besoins de sa thèse, dans laquelle il entendait démontrer une complicité entre Henry et Esterhazy dès le début de l'affaire Dreyfus. Thèse à laquelle Picquart n'a jamais cru, avec beaucoup d'autres témoins. En effet, il apparaît bien puéril d'attribuer cette fuite au commandant Henry, car, entre autres objections, le texte suppose une relation préalable entre l'officier et le journal antisémite, ce qui est aujourd'hui loin d'être démontré.

    Cette fuite a été interprétée constamment comme un coup destiné à forcer la main du ministre Auguste Mercier, hésitant, pour l'obliger à traduire Dreyfus devant un Conseil de guerre malgré l'absence de charges et de mobile.  Le ministre aurait été accusé par une faction interne à l'état-major de vouloir étouffer l'affaire, voire d'avoir été soumis aux "influences juives".
    Une nouvelle interprétation
    Toutefois, il est possible aujourd'hui de proposer une nouvelle interprétation, basée sur un matériau encore trop peu utilisé de manière systématique dans la recherche sur l'affaire Dreyfus : la presse.
    A l'occasion des travaux concernant notre ouvrage paru en 2012, une étude comparative de la représentation de l'affaire Dreyfus dans la presse a été réalisée, au travers de la lecture systématique d'un échantillon représentatif d'une vingtaine de journaux quotidiens parisiens parus sur l'ensemble du mois de novembre 1894. La plupart de ces quotidiens ont été numérisés et publiés sur Gallica. Les lecteurs intéressés peuvent donc y avoir facilement accès.

    En voici la liste : Le Constitutionnel, La Croix, L'Echo de Paris, Le Figaro, Le Gaulois, Gil BlasL’ÉclairL'Intransigeant, Le Journal des débats, La Justice, La LanterneLa Libre Parole, Le Matin, La Presse, Le Petit Parisien, Le Petit Journal, LeRappelLe Siècle, Le Temps et L'Univers.

    Evidemment, il ne s'agit pas de prendre au pied de la lettre le contenu de ces journaux. La plupart d'entre eux relaient des informations inexactes, voire hautement fantaisistes. La liberté de la presse étant totale en 1894, rien n'est interdit. L'affaire Dreyfus, dès ses débuts donne lieu à l'expression de tous les fantasmes.
    Notre étude a consisté à croiser certaines informations et à les comparer. Ici, sur la période du 31 octobre au 3 novembre, nous avons examiné quelle puissance étrangère était présentée comme bénéficiaire de la trahison .

    Le résultat figure résumé sur le tableau ci-dessous :


    On observe tout d'abord que l'accusation ne porte que sur des pays appartenant à la Triplice. Aucun autre pays n'est cité. Au surplus, la majorité de la presse désigne l'Italie (en vert) comme la puissance coupable au profit de laquelle Alfred Dreyfus est censé avoir livré des documents secrets. Le premier jour de la révélation de l'affaire, l'Allemagne n'est citée que dans trois titres, un quatrième associant l'Allemagne et l'Autriche.

    Cette constatation peut paraître naturelle à la lumière de nos connaissances concernnat la complicité entre l'attaché militaire italien et l'allemand, cent-vingt ans après les faits. Cependant, en 1894, désigner l'Italie ne coulait pas de source. Bien d'autres candidats espions auraient pu être désignés, comme l'Angleterre, le Japon, la Russie, ou les Etats-Unis dont l'attaché militaire Borup avait défrayé la chronique quatre ans plus tôt. Une presse peu informée, aurait désigné des pays au petit bonheur. Alors qu'ici,  la presse dans son ensemble désigne un coupable à la quasi unanimité. 


    L'autre accusation
    Nous savons qu'en plus du dispositif d'accusation officiel de l'état-major, par lequel Alfred Dreyfus est accusé d'avoir écrit le bordereau, un autre système d'accusation est mis en place. Il s'agit d'une trahison via un scénario indirect, par lequel Alfred Dreyfus livre des informations et des documents à l'Allemagne par l'intermédiaire de l'Italie. Cette accusation est basée pour l'essentiel sur la lettre "Ce canaille de D...".

    Que l'Italie soit accusée aussi nettement et formellement ne peut pas être le fruit du hasard. L'informateur de ces journaux est à l'évidence au courant de ce que très peu d'initiés savent. Cette fuite a donc pour origine l'état-major lui-même, et même probablement le Service de statistique, auteur du scénario d'accusation. 

    On peut légitimement se demander quel but aurait poursuivi le contre-espionnage français en laissant fuiter l'information ? Et vient immédiatement à l'esprit la fameuse dépêche Panizzardi, dont nous avons déjà parlé. (Voir ici)
    Car en effet, l'attaché militaire italien, a immédiatement réagi devant la mise en cause de son pays dans les journaux, en envoyant des lettres à sa hiérarchie puis le fameux télégramme dans la nuit du 1er au 2 novembre 1894. Il apparaît donc que les services français ont monté une opération afin d'obtenir une preuve de la complicité entre l'officier italien et Alfred Dreyfus.

    On pourrait croire à une page de roman, des espions français désinformant un diplomate afin qu'il se trahisse. Cependant, plusieurs indices militent en faveur de cette thèse.

    Le premier d'entre eux, c'est que des témoins ont fait l'aveu d'une telle pratique. Non pas dans le cas d'espèce mais un peu plus tard. Le commandant Pierre Mattonex-chef de la section italienne au contre-espionnage, responsable du décodage du télégramme, en a fait le récit en 1903 (2). Le Quai d'Orsay piétine dans le déchiffrement, et pour en avoir le cœur net, on a recours à un petit stratagème :


    Je dois dire [...] qu'au Ministère des Affaires étrangères on m'a dit : « Nous croyons ne pas avoir complètement le chiffre d'un certain attaché militaire, et nous voudrions bien l'avoir ». On me montra ce que l'on pensait être le dictionnaire chiffré de cet attaché militaire. Il me vint une idée et je répondis : « Il me semble qu'on pourrait très bien avoir tout au moins la confirmation de ce que vous avez et même davantage, il suffirait de faire envoyer à l'attaché militaire en question un télégramme dont on saurait d'avance le contenu, et vous arriveriez ainsi à découvrir quel est le chiffre de la dépêche ».Je communiquai cette idée au colonel Sandherr en rentrant au Ministère, et il m'autorisa à procéder comme j'en avais l'idée. De sorte que je fis envoyer une dépêche très complète par un agent qui était à ma disposition à l’attaché militaire en question, dépêche contenant un récit que j'avais inventé de toutes pièces, récit que, s'il voulait véritablement accomplir la fonction dont il était chargé, il devait immédiatement communiquer à son gouvernement par la voie télégraphique. Je m'étais arrangé de façon à dire à cet attaché militaire que dans deux jours il se passerait tel fait important dans l’État-major de l'armée qu'il représentait et par conséquent, recevant ce papier, il devait immédiatement, pour prévenir le fait, envoyer une dépêche à son Gouvernement.
    L'attaché militaire italien réagit comme prévu en envoyant un télégramme, qui, intercepté, livre exactement l'information donnée par le capitaine Matton. Le décodage du premier télégramme était donc validé.

    On voit par cette petite histoire, qu'en 1894, les services français savent parfaitement manipuler le colonel Panizzardi, et qu'il, n'est par conséquent, pas farfelu de penser que la fuite accusant l'Italie d'espionnage avait une intention : obliger Panizzardi à se trahir afin de disposer d'une preuve de la collaboration entre Alfred Dreyfus et l'espionnage militaire italien. Une preuve qui pouvait être indubitablement employée à charge contre Alfred Dreyfus. Cela explique aussi l'important dispositif de surveillance mis en place pour épier l'attaché militaire italien, épié jour et nuit. 
    On le sait, Panizzardi écrivit en fait l'expression de son désarroi à sa hiérarchie en contradiction avec les espoirs de l'état-major.

    Il est vrai que depuis quelques jours, l'Italie défraye la chronique via une autre affaire d'espionnage, celle du capitaine Romani. Cet officier français, en congés dans les Alpes maritimes, avait été surpris sur le versant Italien, porteur d'un carnet de croquis. L'interprétation faite par les autorités italiennes avait été fortement en défaveur de l'officier-touriste, qui avait été arrêté sur le champ et incarcéré. L'affaire donnait lieu à une campagne de presse destinée à faire pression sur le gouvernement italien.
    Il paraît cependant exagéré de penser que par une intention sournoise, le France cherche à attribuer le bénéfice d'une trahison à un pays par mesure de rétorsion. 

    Il apparaît donc qu'une (ou plusieurs personnes), très bien informé, très proche de la Section de statistiques ou issue d'elle, a informé la presse dans le but de provoquer une réaction de la part de l'attaché militaire italien Alessandro Panizzardi. Mais l'objectif recherché par les auteurs de cette opération s'est soldé par un échec : Panizzardi n'a fait état que de son incompréhension au grand dam de l'état-major de l'armée. Comme on le sait, cette dépêche qui interdisait aux militaires de rattacher Dreyfus au réseau germano-italien, va être peut-être utilisée au cours du procès à venir, et en tout cas, donne l'occasion à un faux dans le dossier secret de 1898, la pièce n°44.

    Pierre Stutin
    15 novembre 2014

    (1) Procès en Révision de Rennes, 1899, déposition du Lt. colonel Cordier, tome II, p. 514
    (2) Enquête de Chambre criminelle de la Cour de cassation, 1903, Vol. 1, pp. 355-356










    PARUTIONS

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    Les nouveaux livres sur l'affaire Dreyfus



    Après plusieurs années relativement arides concernant l'affaire Dreyfus sur le plan éditorial, la commémoration des 120 ans de son début paraît avoir stimulé certains esprits. Nous proposons cinq ouvrages récemment parus, sur lesquels nous reviendrons prochainement pour certains d'entre eux.




    Une biographie d'Alfred Dreyfus est parue au sortir de cet été. Curieusement, il s'agit en tout et pour tout de la deuxième biographie du capitaine, après l'imposante somme de Vincent Duclert en 2006. Ici Laurent Greilsamer livre un travail plus modeste, mais aussi plus accessible, plus tournée vers la vie, les souffrances, les joies aussi du capitaine Dreyfus. C'est un ouvrage humain qui nous livre l'homme tel qu'en lui même, un utile rappel sur le personnage principal de l'affaire, qu'on a eu tendance à gommer dans certains travaux passés. Les aspects psychologiques sont étudiés de manière pertinente avec de nombreux détails assez peu connus au demeurant. Quelques erreurs parsèment le livre (l'auteur se perd un peu devant la complexité du dossier secret) mais sans conséquences sur la qualité de l'ouvrage. Une lecture plaisante recommandée pour une première approche du personnage principal de l'affaire Dreyfus.

    Laurent Greilsamer, La Vraie Vie du Capitaine Dreyfus, collection Biographies,Tallandier, 2014, 224 p, 19 €.




    Bertand Joly, spécialiste français des nationalismes, auteur d'un remarquable Dictionnaire biographique et géographique du nationalisme français (Ed. Champion, 2005), signe un "pavé" de près de 800 pages sur un sujet bizarrement assez peu abordé dans son ensemble jusqu'à aujourd'hui : les aspects politiques de l'affaire Dreyfus. Par une approche assez insolite, l'ouvrage est découpé en trois parties, et fait l'impasse sur la première affaire Dreyfus (1894-1895). Mais les deux autres (1896-1899 et 1900-1906) sont étudiées très en détail. L'ouvrage est doté d'un apparat critique conséquent de plus de 150 pages (notes, sources, index, bibliographie). Nous aurons l'occasion de revenir sur cette importante publication après lecture.

    Bertrand Joly, Histoire politique de l'affaire Dreyfus, Fayard, 2014, 780 p, 32 €.




    Après sept ans d'attente, Philippe Oriol fait paraître sa très attendue histoire de l'affaire Dreyfus, dont le premier tome paru chez Stock en 2008 n'avait été suivi d'aucun des volumes prévus à sa suite. C'est donc l'ensemble de l'histoire initialement annoncée qui est publiée aujourd'hui, rassemblée dans deux volumes massifs de plus de 1 500 pages au total. Nous aurons aussi l'occasion de revenir sur l'oeuvre de ce nouveau Reinach après lecture attentive.

    Philippe Oriol, L'histoire de l'Affaire Dreyfus, Belles Lettres, 2014, 1508 p, 75 €.




    En anglais, cette nouvelle publication de Tom Conner permet de faire le point sur la question de l'engagement intellectuel français à l'occasion de l'affaire Dreyfus. Une approche originale pour une étude vue des Etats-Unis, avec pour autant de très intéressants développements sur la nature et les causalités de ces combats d'idées, les raisons des engagements, qu'ils soient dreyfusards ou anti-dreyfusards, hors des manichéismes trop souvent exposés. Très vivement recommandé.

    Tom Conner,The Dreyfus Affair and the Rise of the French Public Intellectual, McFarland , 2014, 280 p., 55 $





    Enfin signalons la parution en français du beau roman de Robert Harris sur l'affaire Dreyfus, vue du point de vue du lieutenant-colonel Georges Picquart. Il convient de signaler le travail remarquable de Natalie Zimmermann, traductrice, qui ne s'est visiblement pas contentée de franciser le texte, mais a réalisé un véritable travail de recherche assez considérable, afin de retrouver les textes exacts soit des lettres citées, soit des journaux, ou encore des discours. Nous avions déjà exprimé tout le bien que nous pensions de ce beau roman, et le moins que l'on puisse dire, c'est que le texte de Robert Harris n'est en rien trahi pas sa traduction ; au contraire, elle tendrait à le sublimer.
    Toujours vivement recommandé, notamment à ceux ou celles qui souhaitent aborder ou faire découvrir à un proche l'affaire Dreyfus sous un angle moins aride que par l'intermédiaire d'un texte universitaire.

    Robert Harris, D., Plon, 2014, 22 €






    Journal du 17 novembre 1894

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    L'article du Journal 
    du 17 novembre 1894




    Le Journal est un quotidien lancé par Fernand Xau en septembre 1892
    et tire rapidement autour de 450 000 exemplaires par jour vers 1898.

    Le Ministre de la Guerre, Auguste Mercier, s'exprima à deux reprises pendant l'instruction menée contre le capitaine Dreyfus en novembre 1894, une première fois dans un entretien accordé au journaliste H. Barthélémy le 17 novembre 1894, entretien publié avec des variantes dans Le Journal et Le Matin, et une deuxième fois lors d'une conversation avec le journaliste Charles Leser, qui la rapporta dans Le Figaro du 28 novembre.

    Les entretiens du Matin et du Figaro étaient disponibles à la Bibliothèque Nationale de France, mais pas celui du Journal, dont nous mettons aujourd'hui une transcription à la disposition du public

    On trouvera un débat sur la signification de ces articlesici.











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