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Channel: L' Affaire Dreyfus
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Le Forum de l'affaire Dreyfus

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Cliquez sur l'image pour accéder au Forum de l'affaire Dreyfus.




Un Forum est mis à disposition des lecteurs, des étudiants et des chercheurs intéressés par l'affaire Dreyfus. 
Toute question peut y être posée et tout débat engagé. Il y sera répondu dans la mesure de nos possibilités et de notre disponibilité.
Il est précisé que les interventions devront respecter certaines règles , et notamment celles ayant trait à la courtoisie et au respect de chacun.





Méliès premier cinéaste de l'Affaire

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Georges Méliès (1861-1938) est un homme aux multiples talents. Il pratique la prestidigitation avec succès, mais exerce aussi le métier de journaliste et de caricaturiste à La Griffe, le journal antiboulangiste dirigé par son cousin, Adolphe Méliès.


Passionné par les technologies naissantes de la fin du XIXe siècle, Méliès assiste à la première représentation cinématographique des Frères Lumière au sous-sol du Grand Café, à la fin du mois de décembre 1895. Il décide alors de se lancer dans la production de films en créant son entreprise, la Star Film. Ses premières productions n'ont pour objet que des saynètes banales et réalistes de la vie quotidienne ; il les a lui même appelées "Scènes des villes et des champs". Rapidement, il change d'orientation et se lance dans la fiction. Il veut concilier sa passion de la magie avec le cinéma, et crée les premiers films fantastiques et de science fiction, dont le plus connu est une adaptation de la Terre à la Lune de Jules Verne. Il invente de multiples techniques de truquage. C'est un succès immédiat. Il réalise plus de 500 courts métrages entre 1896 et 1912.


Proche des milieux républicains grâce à sa participation à La Griffe, il manifeste son intérêt  pour l'affaire Dreyfus dès la fin de 1897. En 1899, au moment où la révision est décidée à Rennes, il entreprend la réalisation de son premier moyen métrage d'une dizaine de minutes pour raconter cette histoire par l'image. Il décide de relater fidèlement, dans les moindres détails ce qui s'est passé. Pour ce faire il s'emploie à mener sa propre enquête tout en étant témoin du procès de Rennes.


Le film, découpé en onze séquences, est entièrement tourné en octobre 1899 peu après la fin du procès de Rennes. Méliès joue lui-même le rôle de l'un des deux avocats d'Alfred Dreyfus : Fernand Labori. Il adopte le parti dreyfusard. Le film est ainsi généralement considéré comme la première œuvre politique et militante de l'histoire du cinéma.


C'est à l'étranger qu'il remporte ses plus grands succès, en Allemagne, en Italie, aux Etat-Unis. Devant cette réussite, Pathé décide de se lancer dans l'actualité reconstituée qui va devenir un genre dominant au tournant du siècle.

Séquence 1 : La dictée



Le lundi 15 octobre 1894, Alfred Dreyfus est convoqué dans le bureau du Général de Boisdeffre, chef d'état-major de l'armée, qui en est absent, au motif d’une  une inspection. Il est reçu par le commandant du Paty de Clam qui a l'idée, pour le confondre, de lui dicter des phrases du bordereau, en prétextant une lettre urgente à écrire. Il pense que l’officier ne manquera pas de se troubler en découvrant qu'on lui fait écrire son propre texte. Mais Dreyfus ne se trouble pas. Il ne comprend pas pourquoi il est arrêté et emmené à la prison du Cherche Midi par le commandant Joseph Henry, où il est mis au secret pendant plus de quinze jours.

Séquence 2 : La dégradation


La séquence est perdue et n'a pas été retrouvée jusqu'à présent.

Devant les dénégations répétées du condamné, le ministre de la Guerre, le général Auguste Mercier, qui attendait des aveux, décide de faire dégrader le capitaine Dreyfus. La cérémonie publique a lieu le 5 janvier 1895à l'aube

C'est plein de dignité, et en criant son innocence, qu'Alfred Dreyfus subit le plus douloureux épisode de sa vie.


Séquence 3 : L’Île du Diable



De février 1895 à juillet 1899, Alfred Dreyfus est incarcéré sur l'île du Diable, un lieu de détention rouvert à son attention, conformément à une loi de circonstance, adoptée en janvier 1895.

La crainte d’une évasion pousse les geôliers aux pires brimades, jusqu'à la construction d'une palissade autour de la case du détenu, afin de l’empêcher de communiquer à vue avec d'éventuels navires de passage.

Séquence 4 : La double boucle



En 1897, pour relancer l'Affaire et  lancer la procédure de révision, Mathieu Dreyfus fait publier dans un journal anglais la fausse information de son évasion. L'information est relayée par la presse française ; le but est atteint. Mais l'opération entreprise par la famille du capitaine amène l'administration pénitentiaire à renforcer la sécurité. Il est décidé d'infliger d’infliger au capitaine une véritable torture : la double boucle. Les chevilles du prisonnier sont fixées sur une barre de fer pendant toute la nuit. Ce supplice cesse au bout de six semaines mais marquera profondément Alfred Dreyfus.

Séquence 5 : Suicide du colonel Henry


En août 1898, le commandant Louis Cuignet découvre que la pièce majeure du dispositif d'accusation de l'armée est un faux forgé par le lieutenant-colonel Henry. Le 30 août 1898, le ministre de la guerre, Godefroy Cavaignac, condamne le faux et son auteur après l'incarcération du faussaire au Mont Valérien. Le lendemain 31 août, il se suicide en se tranchant les carotides à l'aide d'un rasoir. Ce suicide en forme d'aveu ouvre la voie à la révision du procès d'Alfred Dreyfus, qui n'aura cependant lieu que plus d'un an après.

Séquence 6 : Retour d'Alfred Dreyfus



En décembre 1898 et janvier 1899, la Chambre criminelle de la Cour de cassation mène une enquête qui aboutit à la cassation du jugement de 1894. Le 30 juin 1899, Alfred Dreyfus débarque de nuit à Port Haligen sur la presqu'île de Quiberon. Il est ensuite dirigé vers Rennes où son deuxième procès s'ouvre le 7 août 1899. Le gouvernement décide de son incarcération préventive pour, prétenduement, garantir sa sécurité.

Séquence 7 : Dreyfus rencontre ses avocats et retrouve Lucie



Dès le début du mois de juillet, Alfred Dreyfus se met au travail avec ses avocats, Fernand Labori et Victor Demange, afin de prendre connaissance de son dossier qu'il ne connaît pas. Pendant son incarcération, il a été mis au secret, et son courrier a été censuré. Il peut aussi enfin revoir sa famille, et en premier lieu son épouse Lucie, un soutien sans faille du capitaine, ainsi que son frère Mathieu.

Dans cette séquence, Georges Méliès joue le rôle de Fernand Labori, assis à la droite de Dreyfus.

Séquence 8 : L'attentat contre Me Labori




En plein procès de Rennes, le matin même où Fernand Labori s'apprête à attaquer le général Auguste Mercier au sujet de la Dépêche Panizzardi, l'avocat est victime d'un attentat. Il est abattu par un inconnu qui lui tire dans le dos.

Edmond Gaast, le cousin de l’avocat et le colonel Picquart se lancent à la poursuite de l'assassin, pensant que secours sera apporté au blessé. Mais les passants ignorent l'avocat, et l'aide n'est apportée qu'au moment où Marguerite Labori parvient au tribunal demander secours.

Séquence 9 : Bagarre entre journalistes


Méliès a voulu une seconde séquence exprimant le climat de violence qui régnait à Rennes. Bien que le tribunal soit placé sous la coupe militaire et le procès accompagné d’un déploiement de forces unique, les passions s'exacerbent, attisées par l'accusation militaire. La presse est encore très majoritairement antidreyfusarde, mais quelques journaux ont pris le parti inverse, comme L'Aurore de Georges Clemenceau, ou Le Siècle de Yves Guyot. C'est donc dans un climat délétère que les sept magistrats militaires doivent rejuger Alfred Dreyfus.

Séquence 10 : Conseil de guerre de Rennes



Cette séquence restitue une partie des débats du procès de Rennes, qui se déroulent de début août à début septembre 1899. La caméra est placée face au Conseil de Guerre, dont on distingue quelques officiers magistrats, et le Président, le colonel Jouaust avec sa grande moustache blanche. Alfred Dreyfus est assis sur la droite de l'écran, très ressemblant. L'ensemble est une reconstitution fidèle mais relativement ramassée dans l'espace pour des raisons techniques et cinématographiques.


Séquence 11 : Arrivée de Dreyfus au tribunal

La séquence est perdue et n'a pas été retrouvée jusqu'à présent.



Pierre Stutin
juillet 2012



Références bibliographiques :
  • Shlomo Sand, Le XXème siècle à l'écran, le Seuil, 2004.
  • Madeleine Malthête-Méliès, Méliès l'enchanteur, Ramsay, 1995
  • J. Malthête, M. Marié, G. Méliès,L'illusioniste fin de siècle ?, Presses Sorbonne Nouvelle, 1997









La Dépêche Panizzardi

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Une copie du télégramme envoyé par Alessandro Panizzardi le 2 novembre 1894 à 3 heures du matin.
La signification de chaque groupe de chiffre a été rajoutée à l'occasion de la première enquête
de la Cour de cassation en 1899.




Fin octobre 1894, la presse n’a de cesse de soutenir la thèse de la trahison d'Alfred Dreyfus, parfois au profit de l'Allemagne et de l'Italie, mais, la plupart du temps, au profit de la seule Italie. Manquant de preuves contre Dreyfus, les services de contre-espionnage français semblent avoir fuité l'arrestation du capitaine, et la complicité d’Alessandro Panizzardi, premier attaché militaire du Royaume d'Italie à Paris, afin de conduire cet homme, très surveillé par les Français, à réagir et ainsi à se trahir. Il s’agissait d’obtenir de lui une preuve écrite de ses relations d'espionnage avec Dreyfus.

Dans la nuit du 1er au 2 novembre 1894, effectivement, Panizzardi expédie un télégramme chiffré à Rome. Il est intercepté par les services du Lieutenant-colonel Jean Sandherr et confié au Bureau du chiffre du Quai d'Orsay, où travaillent les seuls spécialistes de décryptage.

Rien que de très banal dans le cadre de la lutte du contre-espionnage français, si ce n'est que deux versions au moins de ce message vont apparaître au cours de la longue histoire de l'affaire Dreyfus : l'une est défendue par le Quai d'Orsay. Elle anéantit la thèse militaire occulte en 1894, qui fait d'Alfred Dreyfus le complice d'Assandro Panizardi. 
L'autre, la militaire, confirme  au contraire cette complicité ; c'est la pièce n°44 du Dossier secret.
Bien qu'obtenu immédiatement, il va falloir environ quinze jours aux cryptographes pourtant expérimentés, pour déchiffrer le message, à la grande surprise de l'Etat-major de l'armée, habitué à plus de célérité ; celui-ci ne manquera pas de relever ce délais anormalement long, d'autant que le résultat ne sera pas au niveau de ses espérances. La question est donc de comprendre pourquoi le déchiffrage des services du Quai d'Orsay a duré près de deux semaines et pourquoi la version du Quai d'Orsay est incontestable. 

Le Baravelli

Pour chiffrer son message, Panizzardi a eu recours à un moyen simple à double détente. Il a d’abord employé un code du commerce, une sorte de dictionnaire, dédié au chiffrage de messages commerciaux, le "Dizzionario per corrispondanze in cifra" conçu par un certain Paolo Baravelli, d'où le nom de Baravelli donné au volume. Pour pouvoir correspondre,chacun des deux correspondants devait posséder la même version du dictionnaire (il y eut une édition par an entre 1878 et 1904). Panizzardi a également en partie sur-chiffré le résultat donné par le dictionnaire.


D'après les mémoires du diplomate français Maurice Paléologue, le Baravelli a été intercepté par les services français dans des conditions rocambolesques. La Section de statistiques surveillait la duchesse Grazioli, qui entretenait une correspondance nourrie avec le comte de Turin, neveu du roi d'Italie. La correspondance étant chiffrée de manière inconnue, Sandherr soupçonna qu’elle couvrait des activités d’espionnage. Il mit en place une taupe, parmi le personnel de maison de la duchesse pour comprendre à quelles méthodes celle-ci avait recours. Les services français comprirent qu’elle se servait d'un dictionnaire dont ils s'emparèrent. Une fois déchiffrée, la correspondance se révéla simplement d’ordre sentimental. Sandherr avait néanmoins mis la main sur une source de chiffrage italien.


Le Baravelli est divisé en quatre sections :
  1.  La première chiffre les voyelles et les signes de ponctuations par des chiffres de zéro à neuf. Exemple : 7 = e
  2.  La deuxième partie chiffre les consonnes et les verbes auxiliaires par deux chiffres. Exemple  : 31 = ha
  3.  La troisième partie chiffre les syllabes. Exemple : 227 = p. 2 - ligne 27 = dr
  4.  La quatrième partie permet à un groupe de deux bichiffres, soit quatre chiffres, de chiffrer pour un mot repérable par son numéro de page et de ligne.
Le nombre de chiffres dans un groupe indique ainsi la section à laquelle il faut se référer pour le décodage.

    Cet exemplaire comporte deux paginations ajoutées par son propriétaire. Ici la 4e section est repaginée de deux manières différentes : la page 01 était donc aussi la page 47 en noir ou la page 98 en rouge. Panizzardi avait conservé la pagination de l'éditeur, ici 01.

    L'utilisateur avait éventuellement la possibilité de choisir sa propre numérotation des pages, mais Panizzardi en resta à la pagination d’origine.

    Exemple : 0198 = page 01 - ligne 98 = Africa


    On remarquera donc que les cryptogrammes obtenus avec le Baravellise composaient de groupes de quatre longueurs différentes, ce qui avait pour effet de trahir son emploi, car le code à employer avait une longueur de chiffrement variable. 
    Ainsi en fonction du type de mot (lettre simple, syllabe ou mot entier) le codage est représenté par un groupe de 1 à 4 chiffre ce qui est donc caractéristique du Baravelli.


    Le message de Panizzardi

    Le 2 novembre 1894 à 3h00 du matin, Panizzardi envoie le message suivant :

    Commando stato maggiore Roma

    913  44  7836  527  3  88  706  6458  71  18  0288  5715  3716  7567  7943  2107  0018  7606  4891  6165

    Panizzardi.



    Le fait que les groupes chiffrés aient été de longueur variable conduisit immédiatement le service de renseignement français à soupçonner que Panizzardi avait eu recours au Baravelli pour coder son message. Mais une première tentative de déchiffrement, basée sur l'hypothèse d'une pagination normale, n’aboutit pas. Il fallait donc s'orienter soit vers l’hypothèse d'une pagination spéciale, soit vers celle d’un surchiffrement. 

    Les services de renseignement français eurent alors recours à une technique classique du déchiffrement, employée notamment par Champollion pour le décodage des hiéroglyphes : la technique dite du « mot probable », un mot dont on anticipe la présence dans le message chiffré. 
    Champollion avait supposé que les hiéroglyphes contenus dans des cartouches désignaient des souverains, en particulier Ptolémée et Cléopâtre. Cette hypothèse lui permit de déchiffrer par extension l'ensemble du corpus hiéroglyphique à sa disposition. Dans notre cas, les décrypteurs choisirent le mot Dreyfus. Outre qu’il désignait le coupable présumé que l’on voulait voir mentionner, l'intérêt de ce mot probable était qu’en tant que nom propre, il ne pouvait pas figurer tel quel dans le code ; il devait donc avoir été syllabé. 
    Les décrypteurs, se référant au code, en déduisirent que le découpage était le suivant : 


    dr - e - y - fus



    Le premier et le dernier fragments se trouvaient dans la section à trois chiffres, le deuxième dans la section à un chiffre, le troisième dans la section à deux chiffres. Les dix chiffres qui composaient la première section étaient dans un ordre incohérent ; dans la deuxième, l'ordre des chiffres des dizaines l'était également ; pour les deux dernières sections, la pagination était inconnue. En revanche, dans les deux dernières sections, les numéros de lignes étaient imprimés, de même que les chiffres des unités de la deuxième section.

    Par chance, seuls quatre groupes successifs du télégramme répondaient aux conditions du syllabage présumées par les décrypteurs :  527   3   88   706. Le chiffrement des fragments  dr - e - y - fus  donnait nécessairement la séquence suivante :   ?27      ?   ?8   ?06, ce qui indiquait que seuls les numéros de page et l’ordre des voyelles de la section première avaient dû être modifiés. Le mot probable était placé.


    Un long déchiffrement


    Le bureau du chiffre du Quai d’Orsay mit longtemps à trouver la clé codante des premiers chiffres de chaque groupe. Ils firent successivement de nombreux essais qui donnèrent lieu à des mots différents selon la clé de codage testée. En outre, dans un premier temps, le premier groupe (913) avait été décodé, alors qu'il ne s'agissait que d'un n° d'ordre.

    Vers le 10 novembre, les décodeurs découvrirent enfin la méthode imaginée par Panizzardi.

    Premier chiffre de page :              0 1 2 3 4 5 6 7 8 9

    Devient le 2e chiffre du codage :   9 8 7 6 5 4 3 2 1 0


    Deuxième chiffre de la page :               0 1 2 3 4 5 6 7 8 9

    Devient le premier chiffre du codage :   1 3 5 7 9 0 2 4 6 8


    Le deuxième groupe est aussi utilisé pour les voyelles seules.

    Par exemple 1336 de capitano est codé 7836






    La transcription donna (processus de décodage) :

    Codé :

    913  44  7836  527  3  88  706  6458  71  18  0288  5715 3716  7567  7943  2107  0018  7606  4891  6165

    Identification :

    913  ?4  ??36  ?27  ?  ?8  ?06  ??58  ?1  ?8  ??88  ??15 ??16  ??67  ??43  ??07  ??18  ??06  ??91  ??65

    Décodé :

    913  74  1336  227  1  98  306  5858  31  08  7588  2215 2116  4367  0343  8607  9518  3306  1791  8865


    Il ne restait plus qu'à se référer au Baravelli pour déchiffrer le message en langue italienne :


    Se    Capitano    Dr  e  y  fus    non    ha    avuto    relazione    costa    sarebbe conveniente  incaricare   ambasciatore    smentire   ufficialmente    evitare    commenti   stampa

    Puis de le traduire en français :


    Si le capitaine Dreyfus n'a pas eu de relations avec vous, il conviendrait de faire publier par l'ambassadeur un démenti officiel pour éviter les commentaires de la presse.

    Ce télégramme indiquait donc que l'attaché militaire italien, loin de connaître d'une quelconque manière Alfred Dreyfus, se renseignait auprès de sa hiérarchie pour savoir si elle n'avait pas pris directement contact avec l'officier français sans l'en avertir. Par conséquent, la pièce n° 25 "Ce canaille de D" ne peut pas impliquer une relation entre le duo d'espions italo-allemand et Alfred Dreyfus.

    Le temps pris par le Bureau du chiffre du Ministère des affaires étrangères à décoder le message était donc du à la complexité du système de surcodage employé par Alessandro Panizzardi.

    Encore un faux

    Pièce n°44 du Dossier secret de 1898. L'organisation du texte, et notamment le découpage du mot Dreyfus, prouve que l'auteur du faux avait eu accès aux documents de travail du Bureau du chiffre du Quai d'Orsay en 1894.


    Cet épisode de la guerre des espions resta secret. Il ne fut en effet jamais évoqué pendant les années qui suivirent la condamnation d'Alfred Dreyfus. Officiellement, il ne fut pas fait usage de ce télégramme par l'accusation. Mais lorsque l'Affaire reprit, après le procès d'Emile Zola de février 1898, l'Etat-major décida de ressortir le dossier secret et d'en augmenter la taille. On se souvint alors de l'épisode du déchiffrement de la Dépêche Panizzardi et d'une de ses versions accusatrices. Au moment de l'enquête de 1894, celle-ci avait été transmise au général Auguste Mercier quelques jours avant que lui soit remise la version définitive. Plus tard Mercier reconnut avoir reçu deux versions de cette dépêche, mais affirma n’en avoir tenu aucun compte en raison des contradictions existant entre ces deux versions. Le dossier initial aurait été perdu, et la version compromettante pour Dreyfus aurait été retranscrite de mémoire, puis elle a été ajoutée au dossier comme pièce n° 44. 

    La Cour de cassation décida d'examiner ce fameux dossier secret en décembre 1898 et découvrit l'existence de cette pièce que l'ancien ministre des Affaires étrangères Gabriel Hanotaux fut invité à commenter. Les fonctionnaires du chiffre découvrirent alors avec la plus grande surprise, la teneur de cette version militaire, faussement présentée aux juges de la Cour de cassation pour véridique. Ceci conduisit Maurice Paléologueà dénoncer en séance la nature apocryphe du document et à le qualifier de faux (à raison puisque le système de codage de Panizzardi ne pouvait donner lieu qu'à un seul résultat de décodage). Un véritable scandale s’ensuivit. 

    La version militaire de la dépêche du 2 novembre était la suivante (cf. document ci-dessus) : 

    « Le Capitaine Dreyfus est arrêté. Le Ministère de la guerre a eu des preuves de ses relations avec l’Allemagne. La cause est instruite avec le plus grand secret. Du reste, l’émissaire est prévenu. » 
    D'après le général Arthur Gonse qui dut également s'expliquer sur l'existence de ce faux, puisqu'il avait lui-même écrit la pièce 44, le texte avait été reproduit de mémoire par  le Lt-Colonel du Paty de Clam, ce que celui-ci confirma. Les militaires refusèrent d'accepter la version du quai d'Orsay. 

    Si l'Etat-major acceptait la version des diplomates, tout le dossier secret s'écroulait : l'interprétation de sa clef de voûte, "Canaille de D." ne tenait plus. Cette pièce accusait en effet un espion français dont le nom commençait par  l'initiale "D" de collaborer avec les deux attachés militaires, l'Italien Panizzardi et l'Allemand Schwartzkoppen. Or la version diplomatique du télégramme démontrait qu'Alfred Dreyfus ne pouvait avoir été complice de Panizzardi.

    L'accusation militaire s'arc-bouta pourtant sur cette version, défendue par le capitaine Louis Cuignet, qui alla jusqu'à demander la mise en accusation de plusieurs ministres accusés de forfaiture pour faire valoir son point de vue.


    Pierre Stutin
    Juillet 2012

    L'enquête de 1898

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    Louis Loew, Président de la Chambre criminelle de
    la Cour de cassation en 1898-1899



    A l’été 1898, alors que les partisans de la révision se font plus nombreux et plus vocaux, le ministre de la guerre livre en grandes pompes aux députés trois pièces secrètes pour les convaincre de la culpabilité d'Alfred Dreyfus. L'une d'entre elles, celle qui faisait figure d’être la plus accusatrice, se révèle être un faux caractérisé, réalisé par l’ancien chef de la Section de statistiques, Henry. 
    Ces révélations provoquent la démission du Chef d'état-major de l'armée, le général de Boisdeffre, et une crise gouvernementale. Plusieurs ministres de la guerre se succèdent. Il n'est désormais plus possible de retarder la révision du procès Dreyfus, qui expie sur l'île du Diable, des crimes qu'il n'a pas commis.



    Le ministre de la Justice saisit donc la Cour de Cassation d'un pourvoi en révision. A son tour, celle-ci mandate la Chambre criminelle, présidée par Louis Loew, magistrat indépendant et intègre. Face à l'hystérie générale et les pressions, la Cour décide d'entamer une enquête devant conduire au réexamen des faits et à l’interrogatoire de l'ensemble des témoins. Cette première enquête indépendante a été retranscrite, et non sténographiée, à la différence des procès Zola de février 1898 ou du second Conseil de guerre, à Rennes en août et septembre 1899. Les débats ont été retranscrits puis réécrits, annotés par les intervenants qui pouvaient reformuler leurs déclarations ; enfin, le texte a été signé par les parties, ce qui lui donnait valeur officielle.

    Nous mettons en ligne l'intégralité des deux volumes de cette enquête, publiée chez Stock en 1899, mais jamais republiée depuis. Ils se présentent sous la forme de deux fichiers Pdf, en mode texte cherchables.
    Ces volumes qui ont été réalisés par Pierre Stutin, sont publiés pour la première fois sur Internet.



    Chronologie

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    L’affaire Dreyfus débute à l’automne 1894 avec l’arrestation d’Alfred Dreyfus et s’achève en juillet 1906 avec la réhabilitation de l’officier. Ces quelques dates clef permettent de suivre le fil des événements.


    1886

    7 janvier : Le général Georges Boulanger est nommé ministre de la Guerre dans le cabinet Freycinet.


    1887

    8 janvier : La construction de la tour Eiffel démarre en vue de l’Exposition universelle de 1889.

    avril : L’affaire Schnæbele met en cause un commissaire de police français frontalier accusé d’espionnage. Il est capturé sur le sol allemand, tombé dans le piège que lui ont tendu les Allemands. Jules Grévy évite la confrontation et Bismarck fait libérer le prisonnier ; la guerre est évitée.

    31 mai : Le général Boulanger est limogé à Clermont-Ferrand.


    1888

    L’affaire Thomas met en lumière l’espionnage d’un artificier de Bourges au profit des Allemands. Il est condamné à une peine de prison à perpétuité.


    1889

    21 février : Blondeau, un ancien sous-officier du génie et employé du ministère des Travaux publics, est condamné à cinq ans de prison et 1 000 francs d’amende pour avoir fourni le plan du fort de Liouville à un agent allemand. 
    31 mars : L’Exposition universelle, qui marque le centenaire de la Révolution

    française, est inaugurée.


    1890

    20 mars : Bismarck est démis de ses fonctions de chancelier de l’Empire allemand par Guillaume II.

    23 août : Boutonnet est pris en flagrant délit de remise de documents militaires confidentiels à l’attaché militaire allemand von Huene. Il est condamné à cinq ans de prison.


    1891

    17 juin : Le procès de la mélinite conduit à la condamnation de deux fonctionnaires accusés d’espionnage pour avoir livré les secrets d’une poudre sans fumée, la mélinite.

    30 septembre: Le général Boulanger se suicide sur la tombe de sa maîtresse Mme de Bonnemains au cimetière d’Ixelles en Belgique.


    1892

    25 juin 1892: Les services du contre-espionnage français arrêtent Joseph Greiner, employé du ministère de la Marine, devant le domicile de l’attaché militaire des États-Unis, James Borup.

    17 août : La Convention militaire franco-russe est signée ; elle prévoit la mobilisation et l’intervention réciproque en cas d’agression, ainsi qu'une clause secrète dirigée contre les foyers anarchistes anti-tsaristes de Paris. 

    20 novembre: La mort du baron Jacques de Reinach révèle le scandale du canal de Panama, qui éclabousse de nombreux hommes politiques dont Clemenceau.


    1893

    Émile Zola achève la publication des Rougon-Macquart.

    28 décembre : Marie Forêt dite veuve Millecamps est arrêtée pour espionnage par les services français. Elle est condamnée à cinq ans de prison après seulement quelques jours d'instructions, malgré ses protestations d’innocence.


    1894

    24 juin : Le président de la République française, Sadi Carnot, est assassiné par un anarchiste italien, Sante Geronimo Caserio.

    Fin septembre : La Section de statistiques met la main sur le « bordereau », lettre anonyme adressée au colonel von Schwartzkoppen, l’attaché militaire allemand en poste à Paris. Une enquête est ouverte par le ministre de la Guerre, le général Mercier.

    6 octobre : L’enquête interne affirme que l’auteur du bordereau serait un stagiaire d’état-major, artilleur. Les soupçons se portent sur le capitaine Alfred Dreyfus sur la base unique d'une ressemblance d'écritures.

    15 octobre : Le capitaine Dreyfus est arrêté au ministère de la Guerre, puis mis au secret pendant deux semaines. 

    31 octobre : L’Éclair et La Libre Parole révèlent dans leurs colonnes l’arrestation d’’Alfred Dreyfus pour haute trahison.

    31 octobre : Alexandre III, empereur de Russie, meurt ; Nicolas II lui succède.

    28 novembre: Le général Mercier proclame dans Le Figaro sa certitude de la culpabilité de Dreyfus. Entre novembre et décembre, une vaste campagne de presse est orchestrée par les journaux nationalistes et antisémites contre le capitaine.

    19 au 21 décembre : Procès à huis clos du capitaine Dreyfus devant le conseil de guerre.

    22 décembre: L’accusé est condamné à l’unanimité à la dégradation et à la déportation à perpétuité en Guyane pour haute trahison.


    1895

    5 janvier : Le capitaine Dreyfus est dégradé en public à l’École militaire.

    15 janvier : À la suite de la démission du président de la République, Jean Casimir-Périer, le gouvernement est renversé. Le général Mercier est remplacé par le général Zurlinden à la Guerre.

    17 janvier : Alfred Dreyfus est transféré à Saint-Martin-de-Ré.

    Mi-janvier : Par l’intermédiaire du docteur Gibert, ami du nouveau président Félix Faure, Mathieu Dreyfus apprend que son frère a été condamné sur la base d’une pièce secrète fournie aux juges à l’insu de la défense et de l’accusé.

    9 février : Une loi de circonstance fixe un second lieu de détention dans une enceinte fortifiée aux îles du Salut (Guyane) pour Dreyfus.

    12 mars : Alfred Dreyfus accoste en Guyane.

    14 avril : Il est transféré sur l’île du Diable.

    15 juillet : Le colonel Marie-Georges Picquart devient chef de la Section de statistiques. Il remplace le colonel Sandherr, malade, qui meurt quelques temps après.


    1896 
    2 mars : La Section de statistiques découvre le « petit bleu » adressé par

    Schwartzkoppen au commandant Esterhazy. Après enquête, Picquart identifie Esterhazy comme l’auteur du bordereau.

    5 août : Après une enquête minutieuse, Picquart annonce à ses supérieurs et au ministre de la Guerre que le bordereau est de la main d’Esterhazy.

    1er septembre : Picquart annonce à ses supérieurs que le dossier secret ne contient aucune preuve contre Dreyfus.

    15 septembre: Le journal L’Éclair révèle la communication de pièces secrètes aux juges du conseil de guerre en décembre 1894.

    Début novembre : Le commandant Henry complète le dossier Dreyfus par un faux – le « faux Henry », dans lequel le nom "Dreyfus" apparaît.

    6 novembre : Sollicité par la famille du condamné, Bernard Lazare publie à Bruxelles une brochure intitulée Une erreur judiciaire. La vérité sur l’affaire Dreyfus.

    10 novembre: Le Matin publie un fac-similé du bordereau.

    14 novembre: Picquart est envoyé en Tunisie.

    18 novembre: Interpellé à la Chambre, le général Billot affirme que les règles de procédure militaires ont été respectées lors du jugement de Dreyfus.


    1897

    Janvier : Le chef de bataillon Henry est nommé chef du Service de statistiques à titre temporaire.

    21-29 juin : Craignant pour sa vie et sous le sceau du secret, Picquart confie sa découverte de l’innocence de Dreyfus à Louis Leblois, son ami d’enfance et avocat.

    13 juillet : Leblois se confie à Scheurer-Kestner, vice-président du Sénat ; il le convainc de l’innocence de Dreyfus. Une campagne en faveur de la révision du procès débute.

    16 octobre : Les officiers Gonse et du Paty de Clam décident de protéger le vrai coupable, Esterhazy, en le prévenant des accusations dont il va faire l’objet.

    16 novembre: Mathieu Dreyfus publie dans la presse une lettre au ministre de la Guerre, dans laquelle il dénonce Esterhazy comme l’auteur du bordereau. Une enquête est ouverte.

    25 novembre: Zola publie son premier article en faveur de Dreyfus dans

    Le Figaro.


    1898

    1er janvier: Esterhazy demande à être jugé sur les conseils de la Section de statistiques.

    11 janvier : Le conseil de guerre vote l’acquittement d’Esterhazy à l’unanimité et ferme ainsi pour toujours tout recours pénal contre le coupable.

    13 janvier : Zola publie J’Accuse... ! dans L’Aurore. Le colonel Picquart est arrêté et condamné à soixante jours de forteresse ; il est incarcéré au mont Valérien.

    18 janvier : Le général Billot porte plainte contre Émile Zola et L’Aurore.

    7 février : Le procès d’Émile Zola commence devant la cour d’assises de la Seine. Le dossier secret est évoqué à plusieurs reprises.

    23 février : Émile Zola est condamné pour diffamation à la peine maximale de un an de prison ferme et 3 000 francs d’amende.

    25 février : Le colonel Picquart est mis en réforme. La Ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen est créée.

    2 avril : La chambre criminelle de la Cour de cassation casse et annule le jugement du 23 février pour vice de forme. Le procès est rejugé à Versailles à la mi-juillet ; la Cour condamne à nouveau Zola qui s'exile en Angleterre.

    7 juillet : Le ministre de la Guerre Cavaignac affirme dans un discours à la Chambre détenir les preuves irréfutables de la culpabilité de Dreyfus : trois documents extraits du « dossier secret ».

    9 juillet : Dans une lettre adressée au président du Conseil, Picquart accuse Cavaignac d’avoir fait valoir deux lettres volontairement mal datées et un faux. Le ministre porte plainte contre Leblois et Picquart.

    13 juillet : Picquart est écroué à la Santé.

    10 août : Jean Jaurès commence à publier une série d’articles intitulés « Les preuves» dans La Petite République ; il y affirme que la lettre citant Dreyfus en toutes lettres est un faux.

    13 août : La nature frauduleuse du « faux Henry» est découverte par le capitaine Cuignet.

    30 août : A son retour de congés, le commandant Henry passe aux aveux en présence du ministre Cavaignac ; il est arrêté sur le champ et conduit au mont Valérien. Il se suicide le lendemain dans sa cellule.

    3 septembre: Cavaignac démissionne.

    22 septembre: Le colonel Picquart est écroué à la prison du Cherche-Midi.

    27 octobre : La chambre criminelle de la Cour de cassation déclare la demande en révision du procès de 1894 recevable, et décide de procéder à une enquête.


    1899

    9 février : La chambre criminelle clôt son enquête sur la révision.

    31 mars : Le Figaro débute la publication du procès-verbal de l’enquête réalisée par la chambre criminelle de la Cour de cassation.
    1er juin : Le lieutenant-colonel du Paty de Clam est arrêté.

    3 juin : La Cour de cassation annule le jugement de 1894 ; l’affaire est renvoyée devant un nouveau conseil de guerre, à Rennes.

    9 juin : Alfred Dreyfus quitte l’île du Diable.

    1er juillet: Il est enfermé à la prison militaire de Rennes à son arrivée en France.

    18 juillet : Le Matin publie un récit d’Esterhazy, dans lequel il reconnaît être l’auteur du bordereau, mais « sous la dictée » et sous l’ordre de ses chefs.

    7 août : Début du procès Dreyfus devant le conseil de guerre de la Xe région militaire de Rennes.

    9 septembre: Dreyfus est condamné à dix ans de prison, avec « circonstances atténuantes ».

    19 septembre: Alfred Dreyfus est gracié par le président de la République, Émile Loubet.


    1900 à 1906

    24 décembre 1900 : Le Sénat vote une loi d’amnistie qui protège les conjurés militaires et civils responsables du complot contre Dreyfus de toute poursuite judiciaire. Cette loi, votée sur initiative du gouvernement, déclenche de vives critiques car elle mettra à l’abri des poursuites tous les responsables civils et militaires de l’Affaire.

    29 septembre 1902 : Émile Zola meurt d’une intoxication au dioxyde de carbone dans son appartement parisien.

    26 novembre 1903 : À la suite d’un discours de Jaurès à la Chambre ayant duré plus de deux jours et démontant point par point l’accusation contre lui, Dreyfus dépose une demande en révision de son procès de 1899. 
    1904-1906 : La Cour de cassation initie une nouvelle série d’enquêtes.

    12 juillet 1906 : La Cour de cassation, toutes chambres réunies, annule sans renvoi le jugement du conseil de guerre de Rennes, et conclut que la condamnation portée contre Alfred Dreyfus a été prononcée « à tort ».

    13 juillet 1906 : La Chambre vote une loi réintégrant Dreyfus dans l’armée (avec le grade de chef d’escadron) ainsi que Picquart (avec le grade de général de brigade).

    Attachés militaires

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    Une photo de famille de l'espionnage étranger en France : les attachés militaires en poste à Paris aux grandes manœuvres de 1893. 
    Photo  collection JD, www.military-photos.com


    La mise en ligne de cette photographie tout à fait exceptionnelle est l’occasion de présenter des attachés militaires en poste à Paris au moment de l'affaire Dreyfus. En cette fin de XIXe siècle, une part importante de la surveillance de la France par les puissances étrangères était réalisée par leurs attachés militaires. Ces francs-tireurs du renseignement consacraient une partie importante de leur activité à rendre compte des mutations considérables ayant cours dans l’armée française, vingt ans précisément avant le début de la Grande guerre. 
    Lors des manœuvres des IIe et IIIe corps à l’automne 1893, un an avant le début de l’affaire Dreyfus, une photo souvenir rassemble une bonne partie de ses futurs acteurs.

    1er rang de gauche à droite :


    1 : Capitaine de Froissard de Broissia, (1856-1905), 72e régiment d'infanterie - Officier de liaison de l'état-major de l'armée auprès des attachés militaires étrangers pendant les grandes manœuvres.
    2 : Colonel Ikeda, Attaché militaire de la légation impériale du Japon à Paris
    3 : Colonel Reginald Talbot, (1841-1929), attaché militaire d'Angleterre à Paris de 1889 à 1895. Bien qu’impliqué dans le réseau d’espions,  il a réussi à passer relativement inaperçu. La Grande Bretagne représentait pour la France un adversaire  aussi menaçant que l’Allemagne dans la dernière décennie du siècle, comme le montre l’affaire de Fachoda en 1898. Talbot avait dit, au moment du procès de Rennes en août-septembre 1899, que tout le monde savait qu'on obtenait ce qu'on voulait d'Esterhazy contre un billet de mille francs,
    4 : Commandant Gallati, attaché militaire du royaume de Roumanie.
    5 : Général Major Baron Vladimir Borisovitch Freedericksz, premier attaché militaire de Russie, personnalité clé de la négociation  des accords d'alliance militaires franco-russes. Ceux-ci venaient d’être signés moins un an plus tôt dans le plus grand secret entre Boisdeffre et le général Obroutcheff. L’attaché militaire russe, assis à la droite de son hôte, était à ce titre l’invité d’honneur des grandes manœuvres d’automne.
    6 : Colonel Jules Clément Le Loup de Sancy de Rolland, (1846-1922), chef du 2e bureau de l'Etat-Major de l'Armée, dont le Lt Colonel Davignon était l’adjoint (mentionné dans la pièce n°40 du dossier secret). En charge des relations avec les attachés militaires étrangers à Paris, Sancy organisait des réunions d'information chaque semaine au ministère. Très lié avec le colonel de Schwartzkoppen depuis ses fonctions de Premier attaché militaire à Berlin de 1882 à 1887, l'officier français peut avoir été l'"ami" dont parle Panizzardi dans la Lettre Davignon.  
    7 : Général Rohde, attaché militaire du royaume de Danemark.
    8 : Colonel Tewfik, attaché militaire de Turquie.
    9 : Lt Colonel Szilvinyl, attaché militaire de l'empire Austro-Hongrois.
    10 : Commandant Luis Fernandez de Cordova, marquis de Mendigorria. Cet attaché militaire du royaume d’Espagne à Paris apparaît à de nombreuses reprises dans le dossier secret, soit en photo soit dans les correspondances entre attachés (cf notamment pièces 33 et 34 du dossier secret). Le marquis de Val Carlos, informateur involontaire du commandant Henry, fit référence au commandant espagnol dans sa déposition à la Cour de cassation en 1904.


    2e rang debout de gauche à droite :


    A : Colonel Matthew R. Flood, attaché militaire du royaume de Norvège.
    B : Capitaine Debrye, 6e Dragons, Officier de liaison de l’armée française pendant les grandes manœuvres.
    C : Capitaine de Süsskind, attaché militaire en second, adjoint du colonel de Schwartzkoppen,  abondamment cité dans la correspondance des attachés militaires (pièces n° 33, 48, 54, 56, 117, 120, 122, 128, 129, 130 et quelques lettres écrites ou reçues par lui aux cotes 323, 324, 325)
    D : Commandant Blanc, attaché militaire de l'armée helvétique
    E : Le lieutenant-colonel Alessandro Panizzardi, l’un des deux membres centraux du cercle d’espions avec Schwartzkoppen. Les services du contre-espionnage français semblent s’être focalisés sur la relation des deux hommes. Panizzardi fut probablement l’objet d’une manipulation qui le conduisit à expédier une dépêcheà sa hiérarchie le jour de la révélation de la trahison de Dreyfus dans la presse, le 2 novembre 1894.
    F : Colonel Goulevitsch, adjoint de Freedericksz à l'ambassade impériale de Russie à Paris.
    G : Lt colonel Van Schermbeck, attaché militaire des Pays Bas à Paris.
    H : Colonel Mihailovitch, attaché militaire de Serbie en France.
    I : Prince Albert Ghica, attaché militaire du royaume de Roumanie à Paris.
    J : Capitaine Charles Domenech de Célès, Ecuyer de l'Ecole supérieure de guerre.
    K : Le colonel Maximilian von Schwartzkoppen. Responsable du renseignement militaire allemand à Paris, il avait réussi à fédérer bon nombre des attachés militaires des légations amies de l’Allemagne de manière à mettre en commun le travail. Le contre-espionnage français mit en place un important dispositif  pour épier ses faits et gestes et parvint à introduire plusieurs agents dans l’ambassade d’Allemagne afin d’y voler toute correspondance ou information d’importance. La plus connue de ces taupes était la femme de ménage, Marie Bastian. Comme un trait d’humour, l'Allemand paraît bien encadré sur cette photographie, sous la surveillance étroite de deux officiers français à sa gauche et à sa droite.
    L :  Capitaine Charles d'Astorg, (1854-1937), chef de la section allemande au 2e bureau de l'état-major de l'armée, sous les ordres du colonel de Sancy.
    M : Colonel Robert Pioch, attaché militaire du Royaume de Belgique. Il est cité dans la pièce n° 285 du dossier secret.

    Le SHD numérise

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    La numérisation du dossier secret militaire

    A la demande des auteurs du livre Le dossier secret de l'affaire Dreyfus, le Service Historique de la Défense (SHD) a accepté d'entreprendre la numérisation du corpus complet des pièces qui composent le dossier secret militaire de l'affaire Dreyfus.
    Cette opération livre pour la première fois au public et aux chercheurs l'ensemble des pièces disponibles en accès libre et gratuit.
    Quelques pièces sont d'emblée visibles sur ce site. Le corpus complet pourra être consulté sur le site du SHD dès que le travail de numérisation sera achevé.

    En attendant cette mise en ligne, il est possible d'accéder à 80 cotes du dossier secret. Ces archives ont été citées dans le livre et peuvent être consultées en complément de celui-ci. 


    Cliquez sur l'image pour accéder aux 80 archives numérisées





    Le Dossier perdu de 1894

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    Les principales graphies plume rouge présentes sur quelques pièces
    permettent une tentative de reconstitution du dossier perdu





    La numérotation plume rouge.


    Les 374 cotes du dossier secret conservées au Service historique de la Défenseà Vincennes portent au moins huit numérotations différentes, plus ou moins superposées les unes aux autres(1).

    L’une de ces numérotations, réalisée à la plume rouge, est remarquable : elle n’est présente que sur une douzaine de pièces du dossier, toutes antérieures au second semestre 1894 et formant de plus une suite numérique. Toujours à la plume rouge et de la forme « n° X », toujours portée sur le document original, elle se retrouve sur quatre des cinq pièces considérées comme faisant partie du dossier secret dans la version canonique. Elle semble donc désigner le dossier secret originel présenté aux juges du procès d'Alfred Dreyfus en décembre 1894.

    Des pièces citées en 1894, seule la « Lettre Davignon » ne porte pas cette numérotation, mais, endommagée, elle a pu la perdre. En revanche, « Ce canaille de D. » est coté « n° 3 » et le mémento « n° 4 ». Les deux faux rapports de l’agent français Guénée sont, eux, numérotées « n° 5 » et « n° 6 ». Que ces faux, fabriqués après 1896 mais censés dater de 1894 et avoir appartenu au dossier d'origine présenté au Conseil de guerre, aient été numérotés à la plume rouge prouve qu’au moment de leur fabrication, cette numérotation constituait un gage d’authenticité.

    Le corpus plume rouge contient également cinq lettres envoyées par l’attaché militaire italien à Paris, Alessandro Panizzardi, à son collègue allemand, Maximilian von Schwartzkoppen, révélant que les deux hommes collaboraient comme espions, mais qu’ils étaient aussi amants – deux au moins de ces lettres étaient d’ailleurs explicitement érotiques. Enfin, un billet de Panizzardi à son ambassadeur, daté du 2 novembre 1894, révèle sa perplexité lors de l’annonce par les journaux de l’arrestation de Dreyfus. Ce corpus d’une dizaine de pièces, plus large que la reconstitution canonique du dossier secret d’origine, comprend des pièces jamais mentionnées par l’historiographie– en particulier certaines lettres de Panizzardi à Schwartzkoppen.


    Le corpus numéroté à la plume rouge constitue donc un ensemble cohérent, centré sur le couple des attachés militaires allemand et italien, et leurs activités d’espions et d’amants.

    Pièce N° 3 : Canaille de D.

    Texte :

    Mon cher ami


    Je regrette bien de pas vous avoir vu avant mon départ. Du reste je serais de retour dans huit jours.

    Si joint 12 plans directeurs de Nice que ce canaille de D. m’a donné pour vous. Je lui ai dit que vous n’aver pas l’intention de reprendre les relations.

    Il prétend qu’il y a eu un malentendu et qu’il ferait tout son possible pour vous satisfaire.

    Il dit qu’il s’était entêté et que vous ne lui en vouler pas. Je lui ai répondu qu’il était fou

    et que je ne croyais pas que vous voudrer reprendre les relations avec lui.

    Faitez ce que vous vouler !

    Au revoir, je suis très pressé. 
    Alexandrine 
    Ne bourrer pas trop !!! 


    Cette lettre, un brouillon au crayon de l'attaché militaire allemand Schwartzkoppen, est centrale. Elle fait en effet l’unanimité des témoins du début de l’affaire, chez les dreyfusards comme chez les antidreyfusards. Tous ceux qui l’ont lue s’en sont rappelé des années après les faits. Assurément, cette missive fit donc partie du dossier.


    Cette lettre manuscrite est un échange entre les deux attachés militaires Maximilian von Schwartzkoppen, allemand, et Alessandro Panizzardi, italien, écrite par le premier comme il l’a reconnu dans ses mémoires. Elle fut longtemps attribuée de manière erronée à ce dernier – or, on voit mal quel intérêt auraient eu pour l’Allemand les plans directeurs de Nice. 

    Pièce N° 4 : Memento


    Texte

    Doute – preuves – Lettre de service – Situation dangereuse pour moi avec un Officier français. – ne pas conduire personnellement de négociations. – apporter ce qu’il a. – absolue ………. Bureau des renseignements. – aucune relation .... Corps de troupe. – Importance

    seulement …………… sortant du ministère. Déjà quelque part ailleurs……..



    Bien que tous les témoins ne citent pas ce document, il est assez probable que ce brouillon de note manuscrite, de la main du colonel von Schwartzkoppen ait fait partie du dossier secret.

    C’est une pièce capitale, car il s’agit très certainement des notes que l’attaché militaire allemand a prises le jour de la première visite du traître à l’ambassade d’Allemagne, le commandant Walsin Esterhazy. Ces notes semblent suivre le fil d’un entretien qu’ont vraisemblablement eu les deux hommes. Schwartzkoppen n’a d’ailleurs pas démenti ce point dans ses mémoires.


    Par un raisonnement tortueux, les militaires de la Section de statistiques prétendirent que cette note accusait Dreyfus. En l’absence de débat contradictoire, personne ne fut à même de contester  cette affirmation, d’autant que le texte en allemand fut interprété à convenance.


    Lorsque le colonel Picquart, sur la piste d’Esterhazy à partir du printemps 1896, prit connaissance du dossier secret conservé à la Section de statistique, à la fin de l’été, il jugea que le texte s’appliquait parfaitement au commandant suspect.

    Des débats intenses se déroulèrent à la Cour de cassation et lors du procès de Rennes sur l’attribution de ce texte. L’exégèse convaincante du colonel Picquart au procès de Rennes en 1899, puis à la Cour de cassation en 1904, emporta l’adhésion de l’historiographie.






    (1) Quatorze pièces à la plume rouge précédées de « n° », 2 sans « n° » ; 67 pièces à la plume noire, de plusieurs numérotations (précédées ou non de « n° » ou « Pièce ») ; 47 pièces en chiffres romains au crayon bleu ; 7 pièces en chiffres arabes au crayon bleu ; 38 pièces en chiffres arabes au crayon rouge, outre la numérotation Gonse.




    l'Histoire

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    La revue l'Histoire d'octobre 2012 publie un article consacré au livre "Le dossier secret de l'affaire Dreyfus" sur huit pages (94 à 101). 

    Titré "De quoi Dreyfus était-il vraiment accusé ?" un espace est réservé aux auteurs de la thèse développée dans l'ouvrage dans la rubrique Recherche, thèse évidemment très résumée 

    Un espace est aussi attribué à deux historiens, Philippe Oriol et Vincent Duclert, en forme de contre-points à l'article, afin de lancer le débat. 
    Il faut préciser que ces deux auteurs n'avaient pas lu le livre, indisponible au moment de la rédaction de ce texte. Ils répondent donc sur la base de l'article que les auteurs ont rédigé.

    Richement illustré de dessins et de photos pour certaines inédites, cet article annonce le livre à paraître désormais très prochainement.

    P.S.
    25 septembre 2012











    Débats

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    LES DEBATS 
    SUR l'AFFAIRE DREYFUS








    Des débats sont en cours sur le forum où les auteurs du livre Le dossier secret de l'affaire Dreyfus répondent et répondront encore à certaines critiques ou questions relevées par des lecteurs.
    Loin d'un esprit de pugilat comme pourrait le laisser supposer l'illustration de ce billet, les discussions se font dans un esprit positif et constructif afin de faire avancer les questions posées.

    Débats en cours : 

    L'interview de Mercier du 17 novembre 1894
    - Le commentaire de Du Paty de Clam de 1904


    N'hésitez pas à intervenir.







    Le commentaire de Du Paty (1)

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    Pourquoi le « commentaire » des pièces secrètes 
    connu depuis 1904 est un faux tardif ?



    Armand Mercier du Paty de Clam, est l'un des principaux acteurs des débuts de l'affaire Dreyfus. Il livre à la Cour de cassation un prétendu brouillon du commentaire qu'il a contribué à rédiger en novembre ou décembre 1894. Ce commentaire a accompagné les pièces secrètes soumises aux juges de 1894.




    Nous lançons un nouveau débat avec la question du commentaire dit de Du Paty de Clam. Introduit dans le dossier secret destiné à emporter la conviction des juges d'Alfred Dreyfus en décembre 1894, ce document a une histoire et nous nous pensons fondés à le critiquer méthodiquement.
    Ce travail d'étude critique sera posté en quatre partie dans les jours prochains. En voici la première partie.


    1 - Les sources du document
    L’existence d'un commentaire accompagnant des pièces secrètes communiquées illégalement par le Ministre de la Guerre au jury du Conseil de guerre de 1894 fut révélée officiellement par le Colonel Marie-Georges Picquart, ex-chef de la Section de statistique (le service de renseignements français), limogé pour avoir découvert l'innocence de Dreyfus, dans deux lettres au Garde des sceaux des 14 et 15 septembre 1898. Il en fit ensuite état de manière détaillée lors de la première révision du procès de 1894 ayant condamné Dreyfus (Cass 1898 I p. 135-139) lorsqu’il donna une description du Dossier secret tel qu’il l'avait vu pour le première fois à l’été 1896.

    Pendant cette même enquête de 1898 de la Cour de cassation, les militaires de l’État-major (Mercier, ministre de la Guerre en 1894, de Boisdeffre, chef d'État-major, Gonse, sous-chef d'État-major supervisant la Section de statistique, Du Paty, responsable de l'enquête de 1894 ayant conduit à la condamnation de Dreyfus) conservèrent un mutisme obstiné à ce sujet, au nom du secret professionnel ; Du Paty se contenta d'admettre l'existence de la pièce, sans donner de détail (Cass 1898 I p. 442, II p. 36), et Gonse affirma que l'original avait été détruit dès le début 1895, et la copie vue par Picquart également détruite en 1897 (Cass 1898 I p. 571), ce qui fut confirmé par Mercier (lettre de Mercier à Freycinet du 24 avril 1899, dans Cass 1898 II p. 339). 

    Aucun des trois militaires n'accepta de donner la moindre indication sur le contenu du commentaire, et dans un premier temps la version de Picquart resta donc la seule disponible. Mais une fois la décision inique de 1894 cassée par la Cour de cassation, le document fut discuté contradictoirement lors du procès de Rennes en 1899 par Picquart, Mercier, Gonse, et Martin Freystätter, un ancien juge de 1894 devenu dreyfusard (Rennes I p. 98-99 Mercier, 162-163 Mercier, 400-410 Picquart, II p. 221 Mercier, 403 Freystätter, III p. 533 Mercier). Du Paty, incarcéré puis malade, n’était pas présent à ce procès. Il déposa sur commission rogatoire, déposition recueillie par le capitaine Tavernier (Rennes III p. 511-512.)

    Le sujet fut une nouvelle fois discuté par les principaux acteurs militaires, Picquart, Gonse, De Boisdeffre et Mercier, pendant la seconde enquête de la Chambre criminelle de la Cour de cassation en 1904 (Cass 1904 I p. 338-339 Gonse, 416-418 Mercier, 729-731 De Boisdeffre, II p. 256-261 Picquart). Mais cette fois, Du Paty était aussi présent, et, interrogé également, affirma qu'il avait conservé un brouillon du commentaire qu’il avait rédigé dix ans plus tôt, brouillon qu'il fut aussitôt sommé de remettre à la Cour (Cass 1904 I p. 238-244, 296-297). 

    Cette version du commentaire, fournie par Du Paty avec d'infinies tergiversations, et expliquée par lui de mauvaise grâce et de manière assez confuse (Cass 1904 I p. 366-369, II p. 675-686), fut publiée intégralement dans le compte-rendu de l'enquête de 1904, et reprise dans le Réquisitoire Baudouin (Cass 1904 I p. 374-375; Baudouin p. 79 et s.). C'est la seule version qui subsiste aujourd'hui.


    PG & PS

    Le commentaire de Du Paty (2)

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    Pourquoi le « commentaire » des pièces secrètes 
    connu depuis 1904 est un faux tardif ?

    (Partie 2)


    Armand Mercier du Paty de Clam, est l'un des principaux acteurs des débuts de l'affaire Dreyfus. Il livre à la Cour de cassation un prétendu brouillon du commentaire qu'il a contribué à rédiger en novembre ou décembre 1894. Ce commentaire a accompagné les pièces secrètes soumises aux juges de 1894.





    Nous poursuivons notre étude de cet important document en analysant les différentes versions possibles du commentaire ayant accompagné le dossier secret remis aux juges d'Alfred Dreyfus lors de son premier procès.

    Combien de versions successives du commentaire ?
    L’historiographie fait rarement état de l'existence de différents commentaires, comme si il était évident qu’il n’y en eût qu’un seul. L'étude précise des sources indique le contraire. Tous les témoignages décrivant le commentaire, sauf ceux de Picquart et de Freystätter, sont le fait de membres de l'État-major ayant participé aux différents complots contre Dreyfus, et sont donc sujets à caution. Il est cependant certain qu’au moins trois versions du commentaire sont apparues pendant les diverses étapes de la procédure judiciaire.


    a) Le commentaire originel de Du Paty.

    Dans ses différents témoignages, Du Paty a expliqué qu’il avait rédigé un commentaire à la demande de Mercier, sous la dictée du colonel Sandherr, le chef du Service de statistique en 1894. Ce commentaire était destiné à relier entre elles tout ou partie des pièces proposées à l’étude des magistrats, et aurait donc uniquement inclus une discussion de ces pièces ; il serait de l’écriture de Du Paty.


    Un commentaire de Du Paty a certainement été soumis à de Boisdeffre et Gonse, qui admettent tous deux en 1904 avoir eu sous les yeux une note de ce genre. Gribelin, archiviste du Service de statistiques, témoigne également, mais sans pouvoir l'affirmer sous la foi du serment, qu'il y avait, dans le dossier secret conservé par Henry, adjoint de Sandherr, puis de Picquart, une note écrite de la main de Du Paty (Cass 1898 I p. 433)

    Il est communément admis que ce commentaire d'origine, conservé avec les autres pièces du dossier secret à la Section de statistique, est celui que Picquart découvrit à l'été 1896. Picquart trouva certainement dans le dossier un commentaire de la main de Du Paty, dont il connaissait l'écriture, et il est donc logique de supposer que ce commentaire de 1896 correspondait au commentaire originel, ou tout au moins à la version du commentaire originel que Sandherr décida de conserver, à supposer qu'il y ait eu plusieurs versions — Du Paty pour sa part n'a jamais évoqué autre chose qu'une seule et unique version de sa main, faite d'abord au brouillon puis au propre.


    Quoi qu'il en soit, Mercier affirme à plusieurs reprises qu'il aurait détruit l'original du commentaire reçu de Du Paty, en présence de de Boisdeffre et Sandherr, immédiatement après le procès qui a condamné Alfred Dreyfus au bagne, puis demandé et obtenu qu'on lui livre la copie du commentaire de Du Paty trouvé par Picquart et récupérée ensuite par Gonse, copie qu'il aurait également détruite dès réception à un moment non précisé de la fin de l'année 1897.



    b) Le commentaire « final » remis aux juges de 1894 : une version Mercier-Sandherr?



    Dans son témoignage de 1904, Du Paty affirma que le commentaire découvert par Picquart en 1896 était bien celui transmis aux juges, mais n'était pas de lui, Du Paty. La forme de ce commentaire « final » était différente, et il n’aurait rien su du fond. Il développera à deux reprises cette idée (Cass 1904 I p. 239-242, II p. 686). Cette affirmation tardive de Du Paty est contredite par Mercier pour qui il n'y avait toujours eu qu'une seule version du commentaire, en deux exemplaires, l'un remis aux juges par lui puis récupéré et détruit après le procès, l'autre gardé par Sandherr, retrouvé par Picquart en 1896, repris par Gonse et livré à Mercier qui l'aurait détruit en 1897. 



    Du Paty lui-même, en remettant la  pièce à la Cour, se rapprocha de la position de Mercier et affirma qu'il n'existait que quelques différences de forme entre son commentaire de départ et le commentaire final (intégration du texte des pièces commentées, par exemple), une affirmation impliquant qu'il aurait lu la pièce en question ; mais il se contredit ensuite, en insistant à nouveau sur l'idée qu'il ne connaissait pas le contenu de cette pièce de 1896-97, qui pouvait donc être différente de celle qu'il avait rédigée au départ (Cass 1904 I p. 369, II p. 686).



    L'affirmation de Du Paty, en soi, n'aurait guère de valeur (Du Paty comme Mercier mentirent à de nombreuses reprises), si elle n'était pas en partie corroborée par le seul témoignage a priori recevable sur le sujet, celui de l'ancien juge Martin Freystätter. 



    D'après ce qu'il affirma tant à Rennes que dans un témoignage écrit envoyé à l'historien de l'Affaire Joseph Reinach et conservé à la BNF (BNF N.a. fr. 24896 2/XXII, F° 337-347, 382-383), le commentaire qui lui fut soumis au Conseil de guerre de 1894 n'était pas celui vu par Picquart en 1896, ni celui décrit par Du Paty à partir de 1899. 



    En particulier, Freystätter affirma toujours que le commentaire soumis au juge comportait une notice biographique accusant Dreyfus d'actes de trahison lors de sa formation initiale comme officier. Il affirma aussi dans sa communication à Reinach en avoir discuté avec Picquart, et avoir acquis la certitude que le commentaire que Picquart avait vu n'était pas celui qui lui avait été fourni en 1894. De fait, aucune notice biographique n'est évoquée par Picquart dans sa description de ce qu'il découvrit en 1896, et Du Paty insiste lui aussi sur le fait que le travail qu'il avait fourni ne comportait aucune notice biographique. 



    Tout ceci conduit à penser que le commentaire final fourni aux juges a pu différer significativement du commentaire originel de Du Paty, et que sur ce point précis ce dernier n'a pas forcément menti.


    Reinach indique que cette version finale aurait été rédigée par Henry à la Section de statistiques, sans pour autant donner sa source (Reinach I p. 358-359). Freystätter précise dans sa lettre à Reinach que ce commentaire était rédigé d’une belle écriture calligraphique, et s'étendait sur deux pages et demi (BNF, N.a. fr. 24896 2/XXII, F° 342).


    Ce commentaire final a-t-il été présenté à Gonse et à de Boisdeffre ? Il n'est pas possible de le savoir. Il est parfaitement possible que ce commentaire ait été réalisé sans recours ni au chef d’état-major de l’armée, ni au sous-chef d'état-major. Toutefois, Mercier affirma que le pli avait été scellé en présence de de Boisdeffre, ce qui laisse ouverte la possibilité que ce dernier ait pu lire le commentaire. De même, Gonse était le supérieur hiérarchique de Sandherr, et pouvait donc aussi avoir été mis dans le secret.



    Quel que soit le contenu de ce commentaire final, il fut détruit par Mercier, en présence de De Boisdeffre et Sandherr, immédiatement après le procès qui se termina par la condamnation d'Alfred Dreyfus au bagne, et le commentaire originel de Du Paty fut seul conservé dans le dossier jusqu'à ce que Picquart le retrouve en 1896. Il ne reste plus aucune trace connue d'un commentaire avec notice biographique, en-dehors du témoignage de Freystätter, et des quelques allusions confuses de Du Paty.



    PG & PS

    Le commentaire de du Paty (3)

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    Pourquoi le « commentaire » des pièces secrètes 
    connu depuis 1904 est un faux tardif ?

    (Partie 3)


    Armand Mercier du Paty de Clam, est l'un des principaux acteurs des débuts de l'affaire Dreyfus. Il livre à la Cour de cassation un prétendu brouillon du commentaire qu'il a contribué à rédiger en novembre ou décembre 1894. Ce commentaire a accompagné les pièces secrètes soumises aux juges de 1894.


    c) Le commentaire remis par Du Paty en 1904 : un faux

    Dans une communication écrite, Du Paty décrivit ainsi en 1899 le commentaire qu'il aurait rédigé en 1894 (Rennes III p. 512) :

    « Commentaire secret. — Ainsi que je l'ai dit devant la Cour de cassation j'ai été chargé d'établir au mois de décembre 1894, en présence du colonel Sandherr et avec sa collaboration, un commentaire sur certaines pièces secrètes que le colonel Sandherr a mises sous mes yeux. Ces pièces étaient les suivantes : 
    la pièce « Doute Preuve », cette pièce était accompagnée d'une traduction du colonel Sandherr qui savait l'allemand mieux que moi. 
    2° la lettre dite Davignon; 
    3° la pièce « Ce canaille de D. » Le colonel Sandherr nous dit que c'était une lettre de l'agent B à l'agent A. Je n'avais ni qualité ni moyens pour contrôler l'opinion du colonel Sandherr, opinion qui fut d'ailleurs partagée jusqu'à l'année dernière. par ceux qui connaissaient la lettre; il paraît que cette lettre est de l'agent A, à l'agent B. ; 
    4° une déclaration du colonel Henry dont je ne me rappelle plus les termes relativement aux propos que lui aurait tenus une personne honorable ; 
    5° des pièces dont je ne me rappelle plus la teneur ni l'objet, mais qui se rapportaient toutes à des faits contemporains du séjour du capitaine Dreyfus à l'Etat-Major de l'armée. [...]
    Quant au commentaire que j’ai établi sous la direction du colonel Sandherr il avait pour but d’établir la corrélation entre les pièces énumérées sous les paragraphes 1 à 5, ci-dessus ; de montrer qu’il y avait un traître à l’Etat-major de l’armée, que ce traître était un officier, qu’il appartenait ou qu’il avait appartenu au 2e bureau, et que ce pouvait être le capitaine Dreyfus. »

    En 1904, présent cette fois à l'audience et pressé par la Cour de cassation et son procureur général, Baudouin, Du Paty fut sommé de remettre un brouillon de commentaire qu’il avait avoué avoir conservé. L’opération fut théâtralisée. Du Paty refusa, puis demanda l’accord de Mercier, puis accepta en remettant une copie du brouillon, puis finit par remettre l’original du brouillon. Cette valse-hésitation ressemble fort à une mise en scène destinée à accréditer le fait que ce brouillon était une pièce importante, et à lever tout doute sur le fait qu'elle contenait ce qui avait été lu au Conseil de guerre de 1894.

    A l’examen précis de son contenu, il apparaît que le commentaire est un faux, un document apocryphe. Il fait référence en effet à un élément dont les deux témoins fiables, Picquart et Freystätter, affirmèrent unanimement qu'il n'était pas présent dans le dossier en 1894 et 1896. 

    Du Paty précisa dès 1899 que le commentaire contenait une déclaration de Henry « relativement aux propos que lui avaient tenus une personne honorable », et la version qu'il donna en 1904 fait allusion à deux reprises à ce témoignage, sous une forme d'ailleurs déjà peu cohérente (Cass 1904 I p. 374) :

    [L'ami de l'attaché militaire allemand à l'état-major] ne peut être autre que l'officier dénoncé par V... qui, au mois de mars 1894, a avisé secrètement notre service des renseignements que ses collègues allemands et italiens (V... étant attaché espagnol) ont un officier à leur dévotion au 2e bureau de l'état-major de l’armée. Il tient le renseignement de (se reporter à l’original). II a confirmé son dire devant témoin tout récemment. (Note jointe D).

    Le passage implique en effet deux pièces, un « original » contenant un rapport sur une conversation avec l'agent « V. », et une « note » portant semble-t-il à la fois sur cette première conversation et sur une deuxième — mais le texte n'est pas clair.

    Simple ou double, le témoignage en question est celui de l'ex-attaché militaire espagnol Valcarlos ; il est certainement apocryphe, puisque non seulement Valcarlos a toujours nié l'avoir donné, mais de plus Picquart a toujours affirmé qu'il n'y en avait aucune trace dans le dossier en 1896. Il est absolument exclu que Picquart ait oublié un élément (et même plusieurs, si un original et une note étaient tous deux joints au dossier) qui, s'il avait été effectivement présent sous une forme ou une autre, aurait été l'unique début de preuve un peu probante permettant de soutenir l'accusation contre Dreyfus. Freystätter confirma également qu'aucune trace écrite du témoignage Valcarlos n'avait été communiquée aux juges en 1894, et n'évoqua, dans sa lettre à Reinach, qu'une éventuelle allusion orale faite par le président du Conseil de guerre, Maurel. Il est donc extrêmement improbable que le témoignage Valcarlos ait été inclus dans le dossier en 1894, et impossible qu'il y ait été inclus en 1896.

    Le commentaire de 1904 n'est donc PAS un brouillon du commentaire vu par Picquart en 1896, puisqu'il manque à ce dernier l'un des éléments essentiels du premier. Du même coup, ce document de 1904 ne pourrait être un document authentique de 1894, comme l'affirme Du Paty, et l'accusation de 1894 ne pourrait contenir des pièces utilisant les « déclarations » de Valcarlos, qu'à condition de supposer que ce témoignage de Valcarlos aurait été introduit dans un premier commentaire de Du Paty, sur la base d'une note de Henry et peut-être d'un rapport communiqué à la Section, puis retiré d'un second commentaire de Du Paty (celui trouvé par Picquart) ainsi que de l'éventuel commentaire final de Sandherr (fourni à Freystätter), tandis que la note de Henry et l'éventuel rapport ou les rapports l'accompagnant étaient également retirés du dossier, si bien qu'il ne resterait plus de trace écrite du témoignage Valcarlos entre le jugement de 1894 et la réouverture du dossier par Picquart en 1896.

    Ledit témoignage aurait enfin été réintroduit après le départ de Picquart dans le dossier, puisqu'il s'y trouve encore aujourd'hui sous deux formes ; d'une part sous la forme de deux rapports de l'ex-policier et agent du Service de statistique Guénée, rapports datés de 1894 et effectivement présents sous une forme différente dans le dossier en 1896 d'après le témoignage Picquart, mais réécrits pour y inclure les affirmation de Valcarlos (les « rapports Guénée » actuels, qui sont donc des faux, SHD 4J118 33 et 34) ; d'autre part par l'intermédiaire d'une note dont le contenu est attribué à Henry, et qui inclut des indications sur Valcarlos supposées dater de 1894 et pouvant correspondre à celles données dans la note à laquelle Du Paty avait fait allusion (SHD 4J118 35).

    Aucune déclaration d'un quelconque des protagonistes de l'Affaire ne permet de supposer que pareil jeu de bonneteau ait eu lieu avec le témoignage Valcarlos, de supposer l'existence de deux commentaires successifs et profondément différents de la main de Du Paty, et enfin de comprendre pourquoi Sandherr, puis Henry auraient décidé de tromper Picquart en retirant du dossier un de ses éléments essentiels après le jugement de 1894 ; Picquart avait la confiance entière de Sandherr, et était le supérieur direct de Henry. Le témoignage Valcarlos, les rapports Guénée modifiés et la note de Henry sur le témoignage Valcarlos sont donc très probablement des inventions de 1896-97, faisant partie de la vague de faux générée par Henry et Gonse pour contrer Picquart.

    Auquel cas le commentaire de Du Paty fourni en 1904 date forcément lui aussi d'après 1896-97 et est apocryphe, peut-être même rédigé peu avant la comparution de Du Paty devant la Chambre criminelle de la Cour de cassation. Au passage, le commentaire de 1904 ne correspond même pas à la description que Du Paty lui-même donnait de son travail en 1899, puisqu'il ne contient aucune allusions au 5° point développé en 1899 (« des pièces dont je ne me rappelle plus la teneur ni l'objet, mais qui se rapportaient toutes à des faits contemporains du séjour du capitaine Dreyfus à l'Etat-Major de l'armée »). Et Du Paty a menti sur la nature, la date de rédaction et le contenu de ce document, mensonge concocté avec la complicité active de Mercier, et corroboré par Gonse et De Boisdeffre.

    Pour conclure, le commentaire fourni en 1904 est donc au mieux une pièce éminemment suspecte, qui ne peut en aucun cas servir à déterminer le contenu de l'accusation de 1894, et n'en est même pas une trace comme Du Paty le prétend ; pour ce travail, les seules bases solides restent, par ordre chronologique de lecture du dossier par les protagonistes, les déclarations de Freystätter, entièrement incompatibles avec la version donnée par Du Paty, et celles de Picquart, que le commentaire de 1904 reprend intégralement, n'y ajoutant que le faux Valcarlos. Le commentaire de 1904 n'ajoute donc rien à ce que nous savons du dossier, si ce n'est une nouvelle tentative de faux.

    2 - Quel statut pour le commentaire de 1896 ?

    Curieusement, Picquart ne paraît pas avoir pris la mesure du problème que posait l'apparition du témoignage Valcarlos dans le commentaire de 1904. Tous ses témoignages de 1898, 1899 et 1904, comme le long article récapitulatif qu'il publia en plusieurs épisodes dans la Gazette de Lausanne en 1903, montrent qu’il a toujours cru à l’existence d’une seule et unique version. Il aurait pourtant dû être évident à ses yeux que puisqu'un élément essentiel du commentaire présenté par Du Paty en 1904 était absent du commentaire que lui-même découvrit en 1896, le commentaire de 1904 était en réalité une nouvelle version. Mais le faux de Du Paty ne semble s'être écarté de son modèle d'origine que sur un seul point, le témoignage Valcarlos, et Picquart se contenta de valider cette ressemblance d'ensemble.

    Surtout, Picquart se refusa toujours à envisager que le commentaire de Du Paty qu'il avait vu en 1896 ait été très différent du commentaire fourni aux juges. Il aborda brièvement le problème dans sa série d'articles de la Gazette de Lausanne (article du 1er août 1903), et justifia sa position avec les trois arguments suivants :

    - Il a reconnu l’écriture de Du Paty
    - Boisdeffre et Gonse n’ont pas objecté à propos du commentaire lorsque Picquart leur a présenté en 1896.
    - Mercier a exigé de brûler le commentaire découvert par Picquart en 1896.

    Le premier point est l'élément qui permet de tenir pour certain que Picquart a vu au moins une version du commentaire originel, rédigée par Du Paty en 1894 ; si éventuel commentaire final de Mercier et Sandherr il y eut, il n’était pas de l’écriture de Du Paty. Il est par conséquent normal que Picquart n’ait pas été surpris par la révélation du « brouillon du commentaire » que du Paty a livré en 1904, et que son auteur avait évidemment veillé à faire coïncider grosso modo, Valcarlos excepté, avec ce que Picquart avait déjà expliqué publiquement avoir vu en 1896 — mais il n'en reste pas moins que le commentaire donné aux juges pouvait être différent de celui qu'il avait découvert, écriture de Du Paty ou pas.

    Le second point tendrait à confirmer la version de de Boisdeffre et Gonse, qui affirment avoir eu connaissance uniquement du commentaire originel de Du Paty. Ils n'avaient donc pas de raisons non plus d'être surpris de voir ce qui pour eux pouvait être le seul commentaire. Mais là encore, l’absence de surprise de Boisdeffre et de Gonse n’est certainement pas une preuve de l’identité des deux commentaires, l'originel réapparu en 1896 et celui fourni aux juges en 1894. D'autant que ce dernier, s'il était différent, avait été détruit par Mercier et que Gonse comme De Boisdeffre le savaient certainement ; dans ces conditions, il devenait compliqué d'expliquer à Picquart qu'une pièce essentielle lui manquait.

    Le dernier point s'appuie sur le système Mercier, puisqu’au moment de la destruction du commentaire originel découvert par Picquart, fin 1896, l’ancien ministre d'après ce qu'il affirma plus tard, ne voulait laisser aucune trace de son forfait. Mais la destruction du commentaire réapparu en 1896, là encore, ne prouve rien quant à l'existence et au contenu du commentaire final de 1894 que Freystätter affirme avoir vu. Que Mercier aie voulu détruire toutes les traces de la forfaiture de 1894 n'implique nullement que ces traces étaient toutes les mêmes.
    Comme dans le reste de notre travail, nous sommes donc renvoyés aux deux témoignages contradictoires de Picquart et de Freystätter, sans pouvoir véritablement trancher entre les deux. 



    PG & PS

    Le commentaire de DU Paty - suite et fin

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    Pourquoi le « commentaire » des pièces secrètes 
    connu depuis 1904 est un faux tardif ?

    (Partie 4 et fin)


    Armand Mercier du Paty de Clam, est l'un des principaux acteurs des débuts de l'affaire Dreyfus. Il livre à la Cour de cassation un prétendu brouillon du commentaire qu'il a contribué à rédiger en novembre ou décembre 1894. Ce commentaire a accompagné les pièces secrètes soumises aux juges de 1894.



    Du commentaire de 1904 aux commentaires de 1894, conclusion provisoire


    Le commentaire de 1904 représente presque certainement un dernier effort pour glisser un nouveau faux dans le dossier Dreyfus — son authenticité réclamerait de supposer trop d'acrobaties de la part des militaires entre 1894 et 1897 pour qu'elle soit plausible. Effort concerté de surcroît, car il faut souligner qu'outre Du Paty et Mercier, à l'origine du faux, Gonse et De Boisdeffre se gardèrent bien d'attirer l'attention sur le caractère suspect de la version de 1904 et sur le problème du témoignage Valcarlos, au contraire même puisque De Boisdeffre fit directement allusion à cet élément. Cette attitude tendrait à indiquer qu'ils étaient des complices actifs de Mercier et Du Paty.

    Une telle tentative de la onzième heure n'aurait qu'une importance relative, puisqu'elle ne change rien à la description de l'accusation donnée par Picquart sur la base de ce qu'il avait vu en 1896, si elle ne nous laissait pas désarmés (et pour ceux qui ont lu notre livre, disons-le, désarmés une fois de plus) devant la contradiction entre les témoignages de Picquart et de Freystätter. Le commentaire de 1904, pièce postérieure aux déclarations de Picquart, ne peut pas servir à confirmer que ce que celui-ci a lu en 1896 était bien un compte-rendu fidèle de l'accusation de 1894, et à infirmer les souvenirs de l'ex-juge. Si Du Paty n'avait pas menti, si le commentaire de 1904 n'avait pas contenu de faux, il aurait pu constituer au moins une présomption à cet égard; mais l'utilisation du témoignage Valcarlos interdit d'en faire autre chose qu'une illustration de la duplicité des adversaires de Dreyfus, et du degré de corruption auquel en étaient arrivées les plus hautes sphères de l'État-major.


    Et du même coup, il est impossible d'être certain du contenu de l'accusation de 1894 à partir du seul témoignage de Picquart. Certes, il a vu le commentaire originel de Du Paty, selon toute probabilité. Mais la conservation dans le dossier de la Section de ce commentaire originel ne prouve nullement que le commentaire final soumis aux juges avait le même contenu. Mercier affirma avoir exigé que ce commentaire final soit détruit et qu’il n’en reste pas de trace, et son ordre a pu être donné et suivi. Le même Mercier se répandit également plus tard en lamentations à propos de la conservation du commentaire de Du Paty à son insu par Sandherr, accréditant ainsi l'idée que les deux commentaires n'en faisaient qu'un, mais son témoignage, toujours suspect, peut fort bien avoir eu pour but de brouiller les pistes ; si Sandherr a gardé le commentaire originel de Du Paty, n'est-ce pas justement par ce qu'un écart important existait entre cette version originelle obsolète et le véritable commentaire?


    Pour conclure, il se peut que Picquart ait cru à tort avoir vu le commentaire de 1894, alors qu’il pouvait s'agir seulement d'une pièce dont le contenu a certainement été repris en totalité ou en partie dans le commentaire soumis aux juges, mais qui ne permet pas de reconstituer de manière certaine ce commentaire final, dont on n’a plus aucune trace. Dans ce cas, toute la dramatisation faite autour du commentaire vu par Picquart, y compris la destruction du commentaire Du Paty en 1897, serait une mystification, destinée à accréditer la version d’un DS relativement banal et peu accusateur, sinon honnête, en tout cas assez prudent.


    On est dès lors fondé à penser le contraire : mais rien ne permet non plus de faire plus que des hypothèses sur ce que ce commentaire final pouvait comporter d'éléments supplémentaires par rapport à la version Picquart, ni de reconstituer avec un minimum de solidité une version compatible avec ce que Freystätter dit avoit vu. Et à tous ces égards, le commentaire de 1904 est d'une inutilité complète, et n'ajoute pas un iota d'information à celles que nous avons héritées de l'ex-chef des services secrets et de l'ex-juge. Il serait donc plus que temps de lui retirer le statut de source importante qu'il a conservé dans l'historiographie jusqu'à nos jours.


    PG & PS

    Annexe 1 : Description du dossier secret par Picquart au Garde des sceaux (CARAN BB19 105, Liasse 1, « Dossier de procédure »)



    « Confidentiel                        Paris, le 14 Septembre 1898

                Monsieur le Garde des Sceaux,

    [...]

    II. Dossier secret

    Lorsqu'on s'est aperçu qu'il n'y avait d'autres charges contre Dreyfus que le bordereau, on a cherché dans les pièces déjà anciennes du service des renseignements celles qui pouvaient s'appliquer à lui; et on en a formé un dossier secret que je vais étudier en détail.


    [p. 16]

    Ce dossier tel qu'il avait été renfermé dans l'armoire de Henry fin décembre 1894, et tel que je l'ai reçu des mains de Gribelin fin août 1896, était divisé en deux parties.

    La première qui fut communiquée aux juges en chambre du conseil se composait de 4 pièces accompagnées d'un commentaire explicatif rédigé, à ce que m'a assuré le colonel Sandherr, par du Paty de Clam.

    La deuxième partie du dossier était de peu de valeur; elle comprenait 7 à 8 pièces en tout, savoir quelques photographies de la pièce: « ce canaille de D. » et quelques pièces sans importance se rattachant plus ou moins à celles de la prmière partie.

    Je vais examiner successivement les pièces de la première partie en indiquant autant que mes souvenirs me le permettent, les termes du commentaire y relatif - Je tiens à affirmer, d'ailleurs, que ces souvenirs sont restés très vifs en raison de la profonde impression que m'a causé la vue de ce dossier.

    1° pièce. C'est le canevas, déchiré en morceaux et reconstitué, d'une lettre ou d'une note écrite par Schwarzkoppen probablement à ses supérieurs. Schwarzkoppen avait l'habitude de faire ainsi des canevas qu'il jetait ensuite au panier. Cette pièce écrite en allemand est de fin 1893 ou du commencement de 1894. Je la crois authentique. Elle était ainsi conçue (ou à peu près): « Doutes... que faire... qu'il montre


    [p. 17]

    son brevet d'officier... il y a à craindre... que peut-il fournir?... il n'y a pas d'intérêt à avoir des relations avec un officier de troupe »

    Le simple bon sens indique que l'auteur de ce canevas vit reçu des propositions d'un individu se disant officier, qu'il avait des doutes sur l'opportunité qu'il y avait à entrer en relations avec lui, et qu'en tout casil s'agissait de quelqu'un qui était dans la troupe.

    Le texte allemand est fidèlement traduit dans le commentaire de du Paty, mais du Paty en tire une conclusion bien inattendue: « A [au-dessus: Schwarzkoppen] trouve, dit du Paty, qu'il n'y a pas d'intérêt à avoir des relations avec un officier de troupe; aussi choisit-il un officier d'état-major et le prend-il au Ministère »

    Ce commentaire permet de se rendre compte de l'esprit perfide dans lequel du Paty a agi. Il éclaire pleinement sur ses intentions, son but et les moyens qu'il a employés pour y parvenir.

    2° pièce. C'est une lettre authentique de B... [en-dessous Panizzardi] à A... [en-dessus: Schwarzkoppen]. Elle date du commencement de 1894. Elle a été déchirée, puis reconstituée. Elle est à peu près ainsi conçue: « Je voudrais bien avoir tel renseignement sur une question de recrutement (1) [en note en bas de page: (1) La question n'était absolument pas confidentielle] je vais le demander à Davignon (alors sous chef du 2e bureau), mais il


    [p. 18]

    me dira rien; demandez-le donc à votre ami, mais il ne faut pas que Davignon [au-dessus: le sache] parce qu'il ne faut pas que l'on sache que nous travaillons ensemble »

    Pour l'intelligence de la chose il faut dire que les attachés militaires [au-dessus: étrangers] allaient environ une fois par semaine au 2e Bureau où du temps du Colonel Leloup de Sancy, alors chef de ce bureau, on les renseignait très libéralement sur tout ce qui n'était pas confidentiel; les officiers du 2e bureau se plaignaient même de travailler plus pour les attachés étrangers que pour l'Etat-Major.

    Le commentateur dit: « A l'époque où B... [au-dessus: Panizzardi] écrit à A... [au-dessus: Schwarzkoppen], Dreyfus était au 2e Bureau. C'est évidemment lui que B... [au-dessus: Panizzardi] désigne comme l'ami de A... [au-dessus: Schwarzkoppen]»

    Ce commentaire est absurde. D'abord rien n'a jamais permis d'établir que A... [au-dessus: Schwarzkoppen] eût eu des relations avec Dreyfus, sauf si l'on admet que le bordereau est de ce dernier. Rien n'indique en tout cas que cet ami soit Dreyfus ni que ce soit quelqu'un qui fournissait à A... [au-dessus: Schwartzkoppen] les documents secrets. B Panizzardi en parle trop légèrement pour cela surtout quand il dit qu'il ne faut pas que Davignon le sache. Cet ami peut être soit le Colonel de Sancy, soit du Paty lui-même qui était lié avec Schwarzkoppen, soit le chef de la section allemande à ce moment-là (j'ai oublié son nom); tous ces officiers étaient


    [p. 19]

    en excellents termes avec Schwartzkoppen, et n'auraient pas hésité à lui donner, pour lui être agréable, un renseignement banal comme celui dont parle Panizzardi.

    3° pièce. C'est une lettre authentique de Panizzardi à Schwarzkoppen du commencement de 1894; elle a été déchirée et reconstituée. Panizzardi dit à peu près: « J'ai vu ce canaille de D... il m'a donné pour vous 12 plans directeurs de Nice, etc... »

    Le commentateur dit que quand on a reçu cette lettre au service des renseignements on a vérifié si les plans directeurs déposés à la Direction du Génie et au service géographique étaient à leur place; ils y étaient. On n'a pas vérifié si ceux du 1° bureau y étaient aussi, d'où il est permis de croire que D..., c'est-à-dire Dreyfus avait pris ceux du 1° bureau et les avait prêtés momentanément à Panizzardi pour les remettre à Schwarzkoppen. En effet Dreyfus avait été au 1° Bureau en 1893 il avait travaillé dans la pièce où étaient déposés ces plans, et on n'avait pas changé les mots des serrures.

    Cette accusation est monstrueuse pour qui connaît le fonctionnement des bureaux de l'Etat-Major. D'abord 12 plans directeurs forment un paquet considérable et à la section des places fortes du 1° bureau on se fût aperçu immédiatement de leur disparition. Comment admettre que


    [p. 20]
    Dreyfus qui depuis un an n'appartenait plus au 1° bureau aurait pu y pénétrer, s'emparer d'un paquet semblable, acte d'autant plus dangereux que l'exemplaire du 1° bureau est unique et que la place de Nice est une de celles dont on a le plus souvent à s'occuper; comment admettre que toujours sans être vu il ait pu rapporter ce paquet, alors qu'il avait sous la main [au-dessus: au 2° bureau] une quantité d'autres documents autrement intéressants pour Schwarzkoppen?

    Il y a lieu de remarquer que rien dans la lettre de Panizzardi ne dit qu'il faille rendre les documents, et c'est pourquoi j'incline à croire qu'ils ont dû être pris au service géographique où on les imprime, et d'où il serait possible d'en distraire sans trop de difficultés et sans qu'on s'en aperçoive, alors qu'au 1° bureau la chose est purement impossible.

    Quant à l'initiale D. elle ne signifie rien. L'Italie ne garde pas pour ses espions l'initale réelle. J'ai connu un espion qui s'appelait réellement C., il s'est présenté aux italiens sous le nom de L. et ils l'ont baptisé M. Je citerai les noms complets, s'il le faut.

    Enfin le ton général de la lettre de Panizzardi ne saurait s'appliquer à un homme qui aurait eu, au point de vue de l'espionnage, l'importance de Dreyfus.

    4° pièce. C'est un rapport d'où il ressort, si je m'en souviens bien, que l'attaché militaire espagnol était parti en 1894 en mission en Suisse sans que sa


    [p. 21]

    situation fût régulière. Les attachés allemands l'ont su et s'en sont plaints au 2e bureau.

    Or, dit le commentateur, le 2e bureau a su le départ de l'attaché espagnol dès qu'il s'est produit; Dreyfus a donc pu le savoir et il n'y a que lui qui ait pu en avertir si vite les allemands.

    Ce raisonnement vaut les précédents; comment Dreyfus, petit stagiaire, était-il si bien au courant de ce qu'apprenait le chef du 2e Bureau? Comment s'il avait averti les allemands ceux-ci seraient-ils venus compromettre leur informateur en se montrant si bien informés? Il faut remarquer d'ailleurs que l'attaché espagnol et les attachés allemands étaient très liés et que ceux-ci ont pu savoir le départ de l'espagnol par toutes sortes de voies.

    Toutes les objections que je viens d'énumérer, je les ai faites à mes chefs et au commandant Henry, et ils n'ont pu nier leur valeur. Elles ont été pour beaucoup, je crois, dans la naissance du faux Henry où Dreyfus est nommé en toutes lettres.

    Je n'ai pu parler ici que d'après mes souvenirs; s'il y avait des points restés obscurs, je prie instammentque l'on me remettte les pièces sous les yeux et me présente les objections qui pourraient surgir; j'ai étudié toutes ces pièces à fond il y a deux ans en pleine connaissance de cause, et je ne suis arrivé à la conviction absolue


    [p. 22]

    que j'ai de leur inanité, au point de vue de la culpabilité de Dreyfus, qu'après avoir envisagé la question sous toutes ses faces.

    Si l'on s'étonnait que ces pièces aient pu décider l'opinion incertaine des juges du conseil de guerre de 1894, il faut se dire qu'ils sortaient d'un débat de 4 jours dont ils étaient profondément troublés, qu'ils cherchaient une idée claire et nette à laquelle ils puissent se rattacher après les discussions confuses des experts, et qu'ils l'ont trouvée dans le commentaire du dossier secret, commentaire dont ils connaissaient l'origine et dans lequel ils aveint par suite une confiance entière. Hors d'état ne fût-ce que comme question de temps, de se rendre compte par eux-mêmes de la valeur de pièces absolument nouvelles pour eux, ils ont accepté l'explication qu'on leur en donnait, sans se douter du piège que leur loyauté foncière les empêchait d'apercevoir »





    Annexe 2 : Description du dossier secret par Picquart (Cass 1898 I, p. 135-139)


    « Ces pièces (et je cite de mémoire) étaient au nombre de quatre; la quatrième était peut-être double. Elles étaient accompagnées d'un commentaire, qui aurait été rédigé par du Paty, d'après ce que m'a dit le colonel Sandherr. »


    a) memento

    « La première pièce était un brouillon, ou canevas, déchiré en morceaux et reconstitué; il y avait quelques lacunes; ce canevas, en langue étrangère, était à peu près ainsi conçu: "Doute. Que faut-il faire? Que faut-il fournir? Qu'il montre son brevet d'officier… (il y a ensuite une phrase où il parle de danger possible) et enfin ces mots "Il n'y a pas d'avantages à avoir des relations avec un officier de troupes. [suit une discussion sur le texte exact] Mon impression extrêmement nette, lorsque j'ai lu cette pièce, en août 1896, et que j'ai tenue entre mes mains, était que l'auteur exprimait des doutes au sujet de relations possibles avec un officier de troupes et non avec un officier d'Etat-major, comme le fait ressortir le commentaire. J'ai porté la pièce, dès le lendemain, au général de Boisdeffre, et je l'ai prié de remarquer qu'il ne pouvait s'agir que de relations avec la troupe. J'ai exprimé la même opinion auprès du général Gonse, le 3 septembre. Et ils ne m'ont pas donné de raisons qui aient été de nature à me faire changer d'opinion. Le commentaire, lui, était très net et disait: "il n'y a pas d'avantages à avoir des relations avec un officier de troupes. Il entre en relations avec un officier d'Etat-major et le prend au Ministère." Je crois cette pièce authentique. »


    b) Davignon

    « La deuxième pièce est une lettre de B… à A… relative à une question banale. J'avais dans la tête que c'était une question de recrutement; en réalité j'ai vu dans le compte rendu des débats qu'il s'agit d'une question de réserviste. B… dit (autant que ma mémoire me permet de me rappeler): "Je demanderai ce renseignement à Davignon, mais il ne me dira rien, demandez-le à votre ami. Mais il ne faut pas que Davignon le sache. Il ne faut pas qu'on sache que deux attachés travaillent ensemble." Le commentaire en concluait que A… avait un ami au 2e bureau. La chose est fort possible: les agents étrangers venaient régulièrement au 2ebureau, où ils étaient fort bien accueillis et où on leur donnait tous les renseignements non confidentiels dont ils pouvaient avoir besoin. Les termes dans lesquels B… parle de l'ami de A… excluent l'idée d'un informateur secret ».


    c) Ce canaille de D...

    Je passe à la troisième pièce, celle dite "Ce canaille de D…" J'avais toujours cru qu'elle était de B… à A… mais en réfléchissant à la nature des renseignements fournis, il semble plus naturel qu'elle soit de A… à B… Voici à peu près ce que j'ai retenu de cette lettre assez longue (je cite de mémoire): "J'ai vu ce canaille de D.. qui m'a remis pour vous 12 plans directeurs de H…" Il y a aussi ces mots: "Je lui ai dit qu'il était fou" et ceci a son importance à cause de certains raisonnements que faisait Du Paty en rattachant ce texte au bordereau.

    Sur le commentaire relatif à cette pièce, je m'en rapporte entièrement à ce que j'ai dit dans ma lettre au Garde des sceaux.

    [suit une longue discussion sur le fait que la lettre ne pouvait pas désigner Dreyfus; rien pour nous là-dedans.]

    D. je vous donne connaissance du document en question dans la mesure dans laquelle je puis le déchiffrer. Il y a, au bas, un nom qui paraît être "Alexandrine". La connaissance de ce document vous rappelle-t-elle quelque chose d'utile à dire?

    R. "Alexandrine" était une signature connue au bureau. Il me serait impossible de vous dire actuellement si c'est celle de A… ou de B… Le commandant Lauth pourrait certainement vous fixer à cet égard. Cependant je dois dire qu'il serait bon de contrôler d'une façon très sévère les indications qui étaient courantes au bureau des renseignements: je crains bien que, trop souvent, nous nous soyons laissé aller à accueillir trop facilement les indications et les assertions qui nous étaient fournies par les agents subalternes au sujet de l'origine des documents. Et une fois une légende admise, il était impossible, pour ainsi dire, de la détruire.

    D. A quelle date cette pièce est-elle arrivée au bureau? R. D'après ce qu'on m'a dit, ce devait être en 1893 ou 1894.



    d) Rapports Guénée

    Le quatrième document est celui auquel j'ai les souvenirs les plus confus comme forme extérieure. Je vous ai dit tout à l'heure que je croyais qu'il était double: c'est un souvenir qui m'est revenu à l'instant, mais il n'est pas précis. Par contre, je crois bien me souvenir de l'objet de ce document: c'est un rapport indiquant que l'attaché militaire E… se serait rendu sans autorisation spéciale en Suisse. A… l'aurait su et s'en serait plaint au 2e bureau. Comme on avait su le départ de E… au 2e bureau par le service des renseignements, celui-ci en a induit que A… avait été averti par son ami du 2ebureau. Je crois bien que le renseignement avait été donné à notre service des renseignements par la personne honorabledont il a été parlé dans le témoignage de Henry, et transmis par l'agent Guénée; ce serait un fait à vérifier. En tout cas, je suis presque certain que Guénée a fait un rapport à ce sujet. J'estime que A… a pu être averti d'une façon bien plus simple, les agents étrangers ayant entre eux des relations assez suivies pour qu'un départ soit immédiatement connu. Je crois d'ailleurs me souvenir que E… était particulièrement lié avec A…, ce qui rendrait l'information rapide de A… absolument naturelle.  Si c'eût été un agent secret du 2e bureau qui eût averti A…, il paraîtrait extraordinaire que A… fût venu montrer immédiatement au 2e bureau qu'il avait ce renseignement.



    Journal du 17 novembre 1894

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    L'article du Journal 
    du 17 novembre 1894




    Le Journal est un quotidien lancé par Fernand Xau en septembre 1892
    et tire rapidement autour de 450 000 exemplaires par jour vers 1898.

    Le Ministre de la Guerre, Auguste Mercier, s'exprima à deux reprises pendant l'instruction menée contre le capitaine Dreyfus en novembre 1894, une première fois dans un entretien accordé au journaliste H. Barthélémy le 17 novembre 1894, entretien publié avec des variantes dans Le Journal et Le Matin, et une deuxième fois lors d'une conversation avec le journaliste Charles Leser, qui la rapporta dans Le Figaro du 28 novembre.

    Les entretiens du Matin et du Figaro étaient disponibles à la Bibliothèque Nationale de France, mais pas celui du Journal, dont nous mettons aujourd'hui une transcription à la disposition du public

    On trouvera un débat sur la signification de ces articlesici.












    Section de Statistiques

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    La Section de Statistiques a-t-elle joué sa survie
    en faisant condamner Alfred Dreyfus en 1894 ?


    Le colonel Jean-Conrad Sandherr a pu jouer la survie de son service
    en fournissant au général Mercier l'outil de la condamnation
    d'Alfred Dreyfus : le dossier secret.




    En marge des discussions (voir ce fil de discussion sur notre forum) sur l'attitude du Ministère de la Guerre et de son Ministre, Auguste Mercier, en novembre 1894, c'est-à-dire au moment où l'enquête sur Dreyfus se révélait infructueuse et où la décision fut prise de le mettre tout de même en accusation, il faudrait aussi explorer un élément déjà connu des premiers temps de l'Affaire, mais dont la signification réelle dans ces jours cruciaux du 10 au 25 novembre n'a peut-être pas été assez soulignée : la possibilité d'une remise en cause du rôle des services secrets français, que certains proposaient de transférer au Ministère de l'Intérieur.


    Sébastien Laurent, dans son livre Politiques de l'ombre (p. 390-391) signale en effet un entretien avec un "haut fonctionnaire de l'Intérieur" publié le 22 novembre par la France militaire, "organe officieux du Ministère de la Guerre". Dans cet entretien, ledit fonctionnaire, presque certainement issu de la Sûreté générale, proposait de concentrer au Ministère de l'Intérieur toutes les fonctions de renseignements (espionnage et contre-espionnage, donc) sous une seule direction à plusieurs bureaux, dont un bureau comprenant une direction et un personnel d'officiers.


    Or cet article ne fut pas sans écho dans la grande presse, comme en témoigne cet entrefilet publié le 23 novembre 1894 dans Le Gaulois, journal monarchiste, antidreyfusard et souvent proche des thèses de l'Etat-major :


    « Ilestquestiondeplacerauministère del'intérieurleservicegénéralderenseignementsintéressantladéfensenationale.Ceservicecomprendraittroisbureaux,dontunbureauexclusivementmilitaireayantàsatêteunofficiersupérieur.Eneffet,leministèredelaguerredisposaitautrefois,enpropre,d'unpetitnombred'agentsqu'ilavaitréussiàspécialiser,àexercerhabilementleurrôleàl'étranger.OnyarenoncépourrecourirauxagentsdelaSûreté.Bienqueceux-cinesoientpasaucourantdecertainesparticularitésmilitaires,ilsformentunpersonnelexpert,maisquidoitêtrecontrôlé,sansreleverdediversservices.Onestimemême,àl'état-majorgénéral,quelecréditbudgétairedecinqcentmillefrancspeutamplementsuffireàcetteorganisation. »

    Le Gaulois, 23 Novembre 1894, p. 1, col. 6


    Placer les officiers de la Section de statistique, puisqu'il ne pouvait s'agir que d'eux, à l'intérieur d'un service plus large numériquement dominé par les agents de la Sûreté et situé au Ministère de l'Intérieur, donc sous le contrôle de ce dernier, aurait évidemment constitué un bouleversement complet des rapports de force entre militaires et civils à l'intérieur des services de sécurité français, et entièrement inversé la tendance constatée depuis Boulanger à la concentration de tous les pouvoirs en ce domaine entre des mains militaires. Une telle mesure aurait aussi constitué un désaveu cinglant de l'action de Conrad Sandherr, chef du renseignement militaire depuis la fin de l'ère Boulanger.


    Une dimension de cet  incident mériterait cependant d'être plus mise en valeur: c'est le canal par lequel ce plan de réorganisation administrative fut diffusé, et ce que ce canal impliquait. En effet, si le contenu du plan en question favorisait incontestablement l'Intérieur, les organes qui le rendirent publics étaient proches, non de ce Ministère, mais bien de celui de la Guerre, ce qui rend cette publication très curieuse.


    La France militairen'aurait probablement pas imprimé un tel entretien, et le Gaulois, notoirement favorable aux militaires, ne l'aurait pas plus repris, s'il s'était agi seulement d'une prise de position du Ministère de l'Intérieur, sans écho chez les militaires. Mais de toute manière, l'existence de cet écho est explicitement confirmé par la référence à l'"état-major général". L'attaque contre la Section de statistique, loin d'être l'affaire du seul Ministère de l'Intérieur, bénéficiait donc sans doute de la bienveillance, sinon du soutien, de certains au moins des dirigeants du Ministère de la Guerre.


    Ces indices de tensions internes aux bureaux du boulevard Saint-Germain et de la rue Saint-Dominique ne devraient-ils pas être rapprochés de la prudence relative dont faisait preuve le ministre Mercier au même moment (cf. les entretiens du 17 novembre)? Mercier et de Boisdeffre, le chef d'état-major, ont-ils envisagé quelques jours de libérer Dreyfus et de faire porter la responsabilité politique du fiasco de l'enquête à Sandherr et ses hommes? Le fait est en tout cas que la position de la Section de statistiques se trouva apparemment menacée de l'intérieur même du Ministère de la Guerre, en plein milieu de l'instruction contre Dreyfus. Le fait est aussi que fin novembre, la menace avait disparu sans laisser de trace, et que Mercier et de Boisdeffre commirent l'irréparable.


    La date de publication de l'entrefilet du Gaulois (plus que de l'article de la France militaire, hebdomadaire qui pouvait avoir reçu cet article plusieurs jours auparavant) semble indiquer que la Section ne parvint à raffermir sa position, aux dépens de Dreyfus, que dans la dernière semaine de novembre. Nous avons avancé dans notre livre l'hypothèse selon laquelle le dossier secret, sous sa forme étendue incluant les pièces homosexuelles, aurait pu jouer un rôle dans la disparition des hésitations de Mercier, à qui il aurait été montré à ce moment-là seulement. Il est en tout cas certain que la deuxième quinzaine de novembre a été le  moment décisif de la première étape de l'Affaire Dreyfus, un moment sur lequel nous manquons malheureusement encore aujourd'hui d'informations solides.


    Pierre Gervais et Pierre Stutin
    7 décembre 2012

    Étrange paragraphe

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    A propos de l'Histoire de la presse française 

    de Patrick Eveno





    Surprenante lecture en ouvrant le dernier livre de Patrick Eveno, Histoire de la Presse française, de Théophraste Renaudot à la révolution  numérique, chez Flammarion.

    L’auteur agrégé d’histoire, est maître de conférences à Paris I, Panthéon-Sorbonne où il enseigne l’histoire des Media. On s’attend donc à du solide. Et on en trouve bel et bien.

    Ce livre visiblement orienté vers le grand public entend dresser une histoire chronothématique de la presse en France, richement illustrée avec une iconographie souvent rare. L’ensemble, associé à un texte nécessairement synthétique dans un espace limité d’environ 300 pages, représente une belle somme et paraît tout à fait suffisant pour qui ne recherche pas le détail. On est devant un compromis raisonnable. Et cela se lit bien.


    La surprise vient dans les pages consacrées à l’affaire Dreyfus, bien entendu incontournable, dès lors qu’il s’agit  de dresser un historique de ce grand moyen de communication de la fin du XIXe siècle. L’affaire Dreyfus arrive en effet en plein âge d’or des journaux, qui se sont investis très fortement pendant les douze années qu’a duré l’Affaire.

    Pour bien comprendre le point qui me laisse perplexe, le mieux est de citer intégralement ce passage étonnant tiré du chapitre « l’âge d’or de la presse française », p. 131 :


    « L’affaire Dreyfus

    Plus grave encore, au tournant du siècle, l’affaire Dreyfus provoque une crise de la conscience nationale. Près de 100 000 articles (1) ont été publiés dans la presse française sur l’affaire Dreyfus entre l’arrestation du capitaine Alfred Dreyfus en 1894 et sa réhabilitation en 1906. La presse est un des acteurs majeurs de l’Affaire : c’est elle qui la diffuse dans l’opinion, en rythme les rebondissements et en crée les péripéties ; c’est elle enfin qui y met un terme (2). En 1894, une femme de ménage, espionne française employée à l’ambassade d’Allemagne, trouve dans une corbeille à papiers, un bordereau portant la liste des documents qu’un officier d’état-major (3) se propose de vendre à l’Allemagne. Deux officiers sont soupçonnés : le commandant comte Esterhazy et le capitaine Alfred Dreyfus (4). Pour l’armée dominée par des officiers catholiques, aristocrates et monarchistes (5), le choix est bientôt fait. Arrêté le 31 octobre 1894 (6), Dreyfus est condamné par un conseil de guerre, après trois jours de procès, le 22 décembre 1894. »

    Voilà, ce n’est pas long, quelques lignes seulement, mais que d’erreurs. J’en retiens six dont la gravité variable s’étend du détail à l’énormité.


    (1) 100 000 articles en douze ans dans la presse française ? On aurait donc écrit si peu dans cette énorme affaire qui a fait vendre plus de papier que l’ensemble de toutes les autres affaires de l’histoire de France réunies ? Pendant cette période en effet, une centaine de quotidiens coexistent à Paris, ils sont cent cinquante en Province. Cela nous donnerait une moyenne de 33 articles par quotidien et par an. Malgré l’éclipse de 1895-1896, on peut évidemment tabler sur beaucoup plus, d’autant que les quotidiens publièrent plusieurs articles par jour au paroxysme de l’affaire avec des éditions spéciales pendant les différents procès. Et on ne compte pas ici les innombrables périodiques à fréquence diverse. Evidemment, personne ne s’amusera jamais à compter le nombre d’articles consacrés à l’affaire, mais cent mille, c’est vraiment très peu. Un peu plus de précaution eût été bienvenue sur un sujet non encore défriché.


    (2) La presse n'a nullement mis un terme à l’affaire Dreyfus. S’est-elle d’ailleurs terminée en 1906 ? Certainement pas dans la presse qui y consacre encore des milliers d’articles à toutes les occasions. Pour vous dire, on en écrira encore en 1945, à l’occasion du procès Maurras ! C’est la Cour de cassation qui casse sans renvoi le jugement de Rennes en juillet 1906 et qui met un terme officiel à la lutte fratricide de 12 ans entre dreyfusards et antidreyfusards. Et certainement pas la presse.


    (3) Plus problématique encore, l’affirmation selon laquelle le bordereau indiquerait la qualité d’officier d’état-major de son scripteur. Or il n’en est rien. Le bordereau ne signale même pas une quelconque appartenance au corps des officiers. Cet argument, involontairement employé ici par Patrick Eveno, est porté par les antidreyfusards pour charger Alfred Dreyfus. C’est une simple déduction, d’ailleurs fausse, l’histoire l’a montré. Car en effet, si l’auteur du bordereau avait été officier d’état-major, cet argument exclurait d’emblée Esterhazy de la liste des suspects. Et nous savons désormais qu’Esterhazy, officier de troupes, était bien l’auteur de cette liste anonyme manuscrite, sans aucun doute possible. Le bordereau ne désignait donc pas un officier d'état-major.


    (5) Une hiérarchie militaire catholique et monarchiste ? Je renvoie M. Eveno à un excellent ouvrage qui ne figure pas dans a bibliographie de fin de volume : A. Bach, l’Armée de Dreyfus, Une histoire politique de l'armée française de Charles X à "L'Affaire", Tallandier, 2004. Cela lui permettra de nuancer ses préjugés sur la grande muette au début du XXe siècle.


    (6) Une petite erreur, certes, mais qui n’a pas sa place dans un livre d’ambition académique : Alfred Dreyfus n’a pas été arrêté le 31 octobre 1894, mais le lundi 15 octobre précédent. Il est mis au secret pendant deux semaines, et c’est en cette fin octobre que la presse révèle l’existence de cette affaire d’espionnage au public. Le 31 octobre, voilà déjà quinze jours que le capitaine Dreyfus est arrêté !


    (4) Enfin j’ai gardé, si on veut, le meilleur pour la fin. On aurait donc eu deux suspects en 1894 : Dreyfus et Esterhazy. Combien de fois ai-je relu cette phrase dans ce chapitre ? J’ai essayé de trouver le sens caché, peut-être, de cette affirmation de Patrick Eveno. A-t-il un scoop ? Aurait-il retrouvé des archives perdues ? S’agit-il d’un trait d’humour mal placé ? Aucune référence ne vient en appui de l’argument ; la bibliographie quant à elle n’apporte aucune information nouvelle. Il faut donc se résoudre à conclure : c’est une bêtise.


    Une erreur évidemment, puisque Esterhazy, le véritable auteur du bordereau, n’apparaît qu’en février ou mars 1896, au moment où la section de Statistiques reçoit un télégramme volé à l’ambassade d’Allemagne adressé à cet officier français, le Petit bleu. Ce qui établissait ses relations suspectes. Par conséquent en 1894, personne ne connaissait l’existence du traître, hormis évidemment son officier traitant, le comte de Schwartzkoppen.

    Aucune archive, aucun témoignage dans aucune procédure judiciaire, rien n’a jamais pu laisser penser qu’Esterhazy avait été suspecté dès 1894, et j’ignore véritablement comment Patrick Eveno a pu avoir une pareille pensée ?


    En conclusion, voilà une affaire que l’on prétend archi-connue, jusque dans ses moindres détails, au point qu’il est inutile (encore !) d’en parler, et qui donne pourtant l'occasion de lire une fois de plus des erreurs parfois importantes, ici sous la plume d'un spécialiste du XIXe siècle, tout de même... Loin de moi cependant l’idée de stigmatiser un auteur, car nul doute que ces erreurs, forcément involontaires, seront corrigées dès lors qu’un nouveau tirage de cet intéressant ouvrage sera lancé.


    Pierre Stutin

    12 décembre 2012



    Une précision

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    L'homosexualité dans l'Affaire Dreyfus

    Le lieutenant-colonel Alessandro Panizzardi (2e debout) et le colonel Maximilian von Schwartzkoppen (4e debout) entretiennent à la fois des rapports de collusion dans le cadre de leurs activités d'espionnage contre la France, mais aussi des rapports intimes. Cette liaison connue des services secrets français a été indubitablement utilisée contre Alfred Dreyfus. Dès 1894 ? 

    Plusieurs de nos lecteurs, à commencer par Vincent Duclert aux Rencontres de l'histoire 2012 à Blois, nous ont affirmé qu'à partir du moment où nous ne sommes pas certains de ce que contenait le dossier utilisé pour faire condamner Dreyfus  au Conseil de guerre de décembre 1894, il nous est du même coup impossible d'attribuer un rôle important, dans l'Affaire, au rapport homosexuel qui liait les deux attachés militaires allemand et italien pour le compte desquels Dreyfus était censé avoir espionné. 
    Dominique Kalifa  conclut sa recension dans le supplément Livres de Libération du 8 novembre 2012 de la même manière, en écrivant que notre ouvrage "ne permet pas de conclure que l'homosexualité fut un des ressorts de l'affaire".

    Dans notre livre, nous précisons bien que rien ne permet de prouver que le lien homosexuel entre les deux attachés fut utilisé pour convaincre les juges de Dreyfus en décembre 1894. C'est une hypothèse possible, ce n'est pas une certitude. En revanche, nous pouvons prouver :
    a) que ce lien fut utilisé dans le dossier secret constitué par les accusateurs de Dreyfus à l'automne 1894 et dont fut tiré les documents soumis aux juges en décembre;
    b) que ce lien influença certains acteurs clés de l'Affaire par la suite.

    Nous savons que les contre-espions français employèrent la liaison des deux attachés comme arme, et ce dès 1894, parce que la partie de la correspondance des deux attachés qui fut dévoilée plus tard incluait des allusions à cette liaison, et qu'en plus cette correspondance incluait dès le départ d'autres pièces, non dévoilées au public, qui explicitaient cette dimension. Ces pièces sont identifiables dans toutes les versions ultérieures du dossier, comme nous le prouvons dans notre travail. Et cette partie du dossier ne perdit rien de son importance à mesure que ce dernier augmentait de volume : plusieurs faux rajoutés par les services secrets après 1896 jouaient délibérément sur la liaison sexuelle entre les deux hommes.  

    Nous savons aussi que cette arme influença certains acteurs clés de l'Affaire. Le sous-chef d'Etat-Major et supérieur hiérarchique de la Section de statistique (le service d'espionnage et de contre-espionnage français qui accusa Dreyfus), le général Arthur Gonse, y fait explicitement allusion en 1897, et il en va de même pour le capitaine Cuignet, principal responsable de l'enquête sur l'affaire Dreyfus au Ministère de la Guerre en 1898-1899.  Ces deux références (il y en a d'autres, moins directes) confirment que la liaison homosexuelle des deux officiers faisait bien partie du dossier, et qu'elle joua un rôle.

    Ce que nous ne savons pas, et ne saurons peut-être jamais, c'est si cette arme fut essentielle ou seulement accessoire. Des présomptions existent permettant de penser qu'elle fut essentielle. Mais aucune version incontestable du dossier présenté au Conseil de guerre en décembre 1894 n'existe à l'heure actuelle. Ou, pour le dire autrement, nous ne connaissons toujours pas précisément le mécanisme de cette condamnation de décembre 1894. La rareté des références à l'aspect homosexuel du dossier peut signifier que cet aspect n'a joué qu'un rôle accessoire, ou au contraire qu'il s'agissait d'un élément tabou, et de ce fait d'une extrême importance.

    Ce qui est en débat, c'est donc l'évaluation de l'impact réel de la révélation du lien homosexuel des deux officiers. Ce lien n'est pas contestable ; sa révélation, c'est-à-dire son insertion dans le dossier par les accusateurs de Dreyfus, n'est pas contestable non plus, pas plus que le fait que cette insertion fut notée par certains des principaux acteurs. Il y a eu volonté d'exploitation, impossible de le nier aujourd'hui. Nos critiques estiment que cette volonté fut toute temporaire, et son influence marginale. Mais même dans ce cas l'hostilité à l'homosexualité fut bien un ingrédient de l'Affaire, sinon l'un de ses ressorts, et cela nous semble maintenant établi au-delà de tout doute possible.

    Pierre Gervais, Pauline Peretz et Pierre Stutin
    21 décembre 2012

    Livre

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    LE DOSSIER SECRET DE L'AFFAIRE DREYFUS
    Crédit photo : Guillaume Stutin - 2012
    L’affaire Dreyfus réserve encore des surprises. Trois chercheurs ont rouvert les archives conservées au Service Historique de la Défense et aux Archives nationales pour reconstituer le Dossier secret produit par la Section de statistiques – le service d’espionnage et de contre-espionnage militaire français – afin d'accabler le capitaine Dreyfus.

    Transmis aux seuls juges du Conseil de guerre, caché à l’accusé comme à ses défenseurs, le Dossier secret fut augmenté de faux et de pièces incohérentes au fur et à mesure que s'amplifiaient la protestation contre l’iniquité du procès et les demandes de révision. Sa fabrication (près de 500 documents) trahit les obsessions des responsables de la Section. À la xénophobie et à l’antisémitisme s’ajoutent la hantise du cosmopolitisme et de l’homosexualité, rappelant les fantasmes et les procédures accusatoires de l'Inquisition.
    Les trois chercheurs ne se contentent pas de révéler une histoire jusqu’à présent ignorée des récits officiels. Ils renouvèlent la méthode en s’inspirant des techniques mises au point par les médiévistes pour l’analyse des manuscrits anciens et des procès. Et nous plongent, au rythme d’un roman d’espionnage, au cœur du Paris de la Belle Époque. 
    Enfin, on trouvera dans la page de présentation de ce livre, des documents complémentaires que les auteurs ont jugés dignes d'intérêt.

    Pour que chacun puisse prendre connaissance du contenu de ce Dossier secret et prendre la mesure de sa vacuité, les auteurs ont voulu que l'ensemble des pièces qui le constituent soient accessibles au public. A cette fin, ils ont encouragé le Service historique de la Défense à mettre en ligne l'intégralité du Dossier, bientôt consultable à l'adresse suivante : site Internet du SHD

    En attendant la fin de cet important projet, il est possible de visualiser 80 cotes d'archives numérisées issues du dossier secret, celles qui sont citées dans le livre.

    La transcription intégrale du Dossier secret est directement accessibles dans la rubrique qui lui est consacrée sur le présent site Internet. Ce document de 620 pages est librement téléchargeable.



    Parution 11 octobre 2012





    Procès de Rennes

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    Nouveau 

    Numérisation des minutes 
    du Procès de Rennes 

    Tome 1


    Le procès de Rennes est l'un des grands moments publics de l’affaire Dreyfus avec le procès d’Emile Zola en février 1898, lequel s’était déroulé un an et demi plus tôt. Le procès de Rennes a lieu quant à lui en août et septembre 1899. Nous en livrons le premier volume numérisé en mode texte intégral sous la forme d'un PDF.

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    Tome 1er des minutes
    sténographiques du procès de Rennes
    Après le suicide du lieutenant-colonel Joseph Henry le 31 août 1898, à la suite de la découverte de son faux, il n’est plus possible de reculer encore le réexamen du procès de 1894 ayant condamné Alfred Dreyfusà la déportation perpétuelle dans une enceinte fortifiée. 
    Ce faux Henry ainsi que neuf autres moyens sont retenus par la Cour de cassation toutes chambres réunies. Ces faits nouveaux entraînent la cassation du premier jugement le 3 juin 1899, et le renvoi vers un nouveau conseil de guerre qui se tient cette fois dans la capitale bretonne.

    Dans une ambiance lourde et une chaleur accablante, le procès s’ouvre dans le lycée de Rennes transformé en tribunal pour l’occasion, préféré aux entrepôts du marché. Heureusement, les débats se tiennent de six heures du matin jusqu'aux environs de midi, ce qui permet de profiter encore de la fraîcheur du petit jour.

    Les débats ont été intégralement sténographiés par plusieurs équipes de spécialistes. L’une est administrative ; elle est chargée de réaliser un compte-rendu officiel pour le compte du ministère de la guerre. 
    Une autre est engagée par le Figaro, qui a le temps de publier chaque soir, en édition spéciale, le compte-rendu du matin même, en raison de ces débats matinaux. 
    Enfin une dernière équipe travaille pour l’éditeur Stock qui publie ce compte-rendu en trois volumes dès le début de l’année 1900.

    C’est donc l’édition Stock que nous avons numérisée et que nous livrons en consultation et téléchargement libre et gratuit.
    Comme on nous en a fait la remarque, nous précisons qu'il s’agit bien travail inédit. Il existe des versions sur Internet de ces volumes, mais celles-ci sont en général des versions « image », dont le texte n’est pas numérisé. Il est donc impossible d’y faire des recherches dans le texte. Ou bien alors, une OCR* a été réalisée, mais elle est brute et contient de nombreuses erreurs typographiques, voir des lacunes importantes dans le texte. Dans tous les cas les recherches sont complexes et ne permettent pas une optimisation des moyens informatiques contrairement à notre version.
    Le 7 août 1899, le procès de Rennes s'ouvre devant une salle comble. Alfred Dreyfus, affaibli par cinq années de captivité dans les conditions les plus dures, apparaît debout à droite, devant ses avocats.

    Ce premier volume, les débats du 7 au 21 août, est riche puisque outre l’interrogatoire d’Alfred Dreyfus, il rapporte les interventions de vingt-quatre autres témoins, pratiquement tous les protagonistes de l’Affaire. 
    Deux grands absents toutefois : le commandant Walsin Esterhazy qui s’est exilé en Grande Bretagne près de Londres, car il est sous le coup de poursuites liées à une escroquerie perpétrée à l’encontre de son neveu Christian, ainsi que le lieutenant-colonel Armand du Paty de Clam, qui s’est fait excuser pour maladie, et qui ne viendra pas déposer au procès de Rennes. Il sera toutefois interrogé sur commission rogatoire (v. tome 3, p. 503), lecture faite lors de la 22e audience du 6 septembre 1899.
    D’un côté, les antidreyfusards (dix-sept) interviennent majoritairement, avec en premier lieu pas moins de cinq anciens ministres de la guerre (Mercier, Billot, Chanoine, Cavaignac, Zurlinden). 
    Ces témoins se présentent pour charger le capitaine Dreyfus, avec pour certains d’entre eux, des dépositions qui s’apparentent à de véritables réquisitoires, comme ceux des généraux Mercier et Roget, mais aussi du capitaine Louis Cuignet ou encore d’anciens camarades d’Alfred Dreyfus ou des membres de la section de statistiques (Lauth, Gribelin, Junck).


    Célèbre une du Petit Journal,
    supplément 
    illustré, du 27 août
    1899, illustrant la tentative

    de meurtre contre
    Fernand Labori.

    Source Gallica.bnf.fr
    En revanche, quelques militaires courageux viennent contester la version de l’état-major, avec en premier lieu le colonel Georges Picquart, héros oublié, ancien chef des services secrets militaires, qui brise sa carrière en prenant le parti de l’accusé. 
    Par ailleurs, le juge d’instruction Paul Bertulus vient aussi raconter les étranges scènes dont il a été le témoin dans son bureau, scènes tellement gênantes pour l’état-major que l’on fait intervenir la veuve du colonel Henry dans une scène mélodramatique lors d’une confrontation restée célèbre. 

    Ce premier tome voit aussi se dérouler un coup de théâtre dramatique au début de la 3e audience  du lundi 14 août, puisque pratiquement « en direct », on apprend avec Me Demange et le Président du Conseil de guerre, le colonel Jouaust, la tentative d’assassinat dont vient d’être victime l'autre défenseur d’Alfred Dreyfus, Fernand Labori, au moment où son épouse, Marguerite, entre en pleine audience pour réclamer du secours pour son mari. L’avocat, atteint d’une balle dans le dos, réussira à reprendre sa place au bout d’une semaine de convalescence. Mais son absence de plusieurs jours l’empêche d’intervenir à certains moments cruciaux des débats.

    Les autres volumes du compte-rendu sténographiques du procès de Rennes suivront au fur et à mesure de leur achèvement.



    * OCR : Reconnaissance optique de caractères

    P. Stutin 
    9 janvier 2013

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